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Les premières aurores

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Depuis mon arrivée début août à Ittoqqortoormiit, les nuits redeviennent des nuits, finis les jours sans fin.
À partir de dix heures le soir, la pleine lune se lève sur le fjord en ce moment et, comme il gèle ensuite, les reflets de l’astre sur la surface de l’eau sont un peu opaques. C’est assez fascinant je trouve.
Ces nuits claires actuelles accueillent les premières aurores de la saison. Elles marquent le retour prochain de la longue nuit et de l’hiver, à partir du mois d’octobre.
J’ai toujours autant de plaisir à observer et essayer de capturer ces phénomènes célestes avec mes boitiers. Je ne me lasse pas de les regarder.
Therecie Pedersen, mon hôte, m’a dit quelque chose de très beau à ce sujet avant hier : « C’est mon pays qui te souhaite la bienvenue ! ». Née ici il y a presque 60 ans, elle a vécu ensuite assez longtemps au Danemark avant d’y revenir. Elle a toujours à cœur de partager sa passion pour « sa » culture Inuit, sa ville et la nature qui l’entoure.
Très souvent, elle va pêcher dans la splendide Baie des Morses à dix minutes de marche de sa maison, où je vis depuis maintenant vingt deux jours. Hier, trois ours polaires ont été vus dans cette zone, alors nous sommes partis à la pêche avec une canne et…un fusil !
C’est donc un peu l’automne avant l’heure ici, le froid semble vouloir se réinstaller assez vite. Les feuilles ne tombent pas au sol balayées par le vent, puisqu’il n’y a pas d’arbres dans les cercles polaires. La toundra est ici chez elle, c’est son royaume. Les mousses et lichens sont, dans ces contrées, les vedettes. Uniques végétaux capables de résister aux contraintes thermiques et lumineuses de ces latitudes.
Avant le froid et la pleine lune, nous avons eu trois jours de vent et quelques averses de neige ce qui désolait Therecie: « je suis pourtant une femme esquimau, mais je n’aime pas la neige ! » me disait-elle sérieusement mais son air malicieux, toujours prompte à rire et faire des blagues.
Maintenant qu’après ces premiers frimas, le soleil a fait son grand retour en journée, le fjord nous dévoile à nouveau un peu de ses paysages aux dimensions vertigineuses. Lorsque je sors de la maison d’Erik et Therecie et que je regarde sur l’autre rive, au sud, du côté du cap Brewster, je vois à plus de quarante kilomètres.
Erik me montrait récemment un sommet plus au fond du fjord, il était à plus de 100 kilomètres ! Ce fjord, le plus grand du monde, donne le tournis ! On a du mal à en apprécier les distances les jours de belle visie comme aujourd’hui.
Jean-Baptiste Charcot, le célèbre médecin français très apprécié ici, en a cartographié une grande partie laissant à quelques criques et plages, des noms bien de chez nous. Les cartes établies dans les années 30 par Charcot sont encore très utilisées aujourd’hui par les habitants d’Ittoqqortoormiit.
Même avec le GPS, les jours de brouillard, elles sont les bienvenues au cas où. Un professeur de l’école me disait l’autre jour à quel point cet apport a aidé les habitants des rives du fjord. Une maison avait également été financée à Ittoqqortoormiit par « les français » à l’époque, elle fut pendant des années l’hôpital local avant la livraison du nouvel équipement.
De 1931 à 1933, dans le cadre de l’année polaire internationale, Charcot avait mené une mission sur les rives du Scoresby Sund construisant au passage, avec les autorités danoises et des habitants d’ Ittoqqortoormiit, une station scientifique. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a une stèle en la mémoire de Charcot et de ses hommes qui ont tous péri ensuite, sauf un rescapé, dans le naufrage du Pourquoi pas IV au large de Reykjavik en septembre 1936.
Ces derniers jours m’ont permis de faire encore beaucoup de photographies, quelques interviews intéressantes et surtout de connaître mieux les habitants. J’ai l’impression qu’un vrai lien est en train de se tisser, c’est l’intérêt aussi de passer un peu plus de temps que le touriste classique qui reste tout au plus quelques heures ici, le temps d’une courte escale.
Je commence à connaître une bonne partie de la population et je fais donc maintenant un peu plus partie de paysage !
Therecie me disait que je me suis fait accepter par les habitants de la ville, elle en était contente, car mon projet l’intéresse.
C’est évidemment très bien pour la suite, car il me faudra revenir pour approfondir les choses, au printemps et peut-être aussi lors d’un autre été.
Il fallait cette période de rencontres, d’explications du projet, pour peut-être aller un peu plus loin et réaliser plus tard les autres objectifs que je me suis fixé.
Une fois de plus tout est une question de temps, ce temps précieux mais aussi indispensable pour créer une confiance.
Surtout dans ces régions ou l’homme blanc, le kratouna comme m’appelait récemment un petit enfant de trois ans tout en me caressant les cheveux, ne s’est pas toujours illustré par ses qualités amicales.
À l’époque des conquêtes et de la colonisation, on peut dire que Charcot fut l’une des exceptions.
Ce premier séjour s’achève donc le 2 septembre prochain.
Il ne me reste que quelques heures encore pour profiter de la beauté de ce lieu en dehors du temps et de ses habitants.

2 thoughts on “Les premières aurores”

  1. Des bellles paroles et photos magnifiques dans tous tes articles!!!!!! Je pense que ce serà difficile pour toi de retourner a la vie de la gran citè. Tu a l’air de tenir de paix et de sérénité, c’est formidable!!!!!!!!! Bon retour et bon projet.

  2. Bonjour Vincent. Et quelle belle publication tu viens d’offrir. C’est vraiment ce que je pense de la vie, ici mais encore plus sur des terres comme celles de l’Arctique : ne pas perdre de vue qu’il faut énormément de patience pour entrer véritablement dans le cœur de quelqu’un. Mais ensuite, et comme je le lis ici, quel immense bonheur ! Ton texte est vraiment magnifique. Je te souhaite bon retour avec ce que tu viens de vivre dans ton cœur… et donc qui ne laissera aucune nostalgie, prêt à affronter doucement ta rentrée… Merci !

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