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Eternelle idylle ?

Éternelle idylle ?

Date : 6 décembre 2007
Position : 80°22’ N 2°43’ W
Cap et vitesse : 229° et 0,2 nds
Vent : 8,3 nds E
Visibilité : Nulle
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Instable
Temp. air : – 9,8°
Temp. eau : – 1,7°

Non, soyons sérieux. L’histoire entre Tara et la banquise ne continuera pas éternellement. Certes, ce n’est plus une aventure, au bout d’un an et demi c’est devenu une relation à part entière. Mais c’est inexorable, que la banquise le veuille ou non, nous assistons à la chronique d’une rupture annoncée. Les deux amants profitent encore de chaque seconde, tout comme leurs pages (et oui c’est nous, les Taranautes !).
Tara, fière goélette polaire battant pavillon français regarde fixement vers le sud. Comme un capitaine veut mener à bon port sa cargaison, accomplir sa mission, il ne quitte pas des yeux la destination finale.
Mais là ou la banquise est maline, c’est que Tara peut bien regarder obsessionnellement vers le sud, c’est elle qui lui dicte sa direction. Elle qui tient la barre. Elle l’a pris dans ses flancs depuis plus d’un an, entouré d’un amour dur mais dans l’ensemble sans failles, alors elle estime avoir quelques prérogatives.
La principale d’entre elles, c’est qu’elle ne va pas laisser partir son amant comme ça, sur un malentendu, un coup de tête.
Alors que l’eau libre serait maintenant à 60 km de la coque en aluminium et bien ce matin elle lui faire du sud-ouest. Pour faire durer le plaisir. Elle n’est pas prête, elle s’est habituée à sa présence. Même métallique, sa coque fait désormais parti de son corps blanc. Pourtant, ce n’est qu’une dernière valse polaire. Pour repousser un peu plus cette date. Mais dans une, deux, trois ou quatre semaines au mieux, elle devra faire le deuil. Des vents de nord-ouest sont annoncés. Elle devra rendre forcément Tara à la civilisation.
Seul son bel amant résistera ensuite à la chaleur des eaux de l’Atlantique nord. Elle, dans un cri désespéré, une complainte finale se fondra définitivement avec son élément initial, l’eau. « Tu es née eau, tu redeviendras eau », ce pourrait être son épitaphe.
Car, celle qui choisit chaque jour le cap de ce bel hidalgo d’aluminium, au nom qui claque comme un talisman ou celui d’un dieu maori, celle qui se joue de cette proue fière tournée vers le sud, c’est elle qui finalement ne survivra pas à la fonte de cette union. Elle sait « qu’elle ne porte la culotte » encore que quelques temps. Ce n’est pas qu’elle est autoritaire, elle est trop puissante pour ce genre de travers, mais choisir le destin de la « glacionef », c’est s’assurer encore quelques heures d’intimité avec elle.
En réalité, la passion qui consume la banquise, ce rêve d’une éternelle idylle, vient tous simplement du fait qu’elle se sait mortelle. Alors que pendant des mois, elle a choisi avec malice, sans alternative, la destinée de son Apollon. Demain elle perdra tout. L’amour, la vie.
Pure passion. Force de l’instant présent. C’est peut-être comme ça que la glace a trouvé le chemin de l’éternité. Par la force de ses sentiments.

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