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Category : serie-journal-pahi

08 Déc 1995

Dimanche 3 décembre 1995

On est pilepoil au milieu de l’atlantique, sur la plaine abyssale du Cap Vert. Exactement ou par endroit il y a jusqu’à 4200 mètres de fonds. Vertigineux. A bord, Yann et Didier sont toujours aux prises avec leur mal de mer. Nous assurons donc la tambouille et les tâches domestiques à trois : P.A, Yo et moi.
Yann se joint à nous pour les quarts. Didier ne quitte pas sa cabine. Il mange très peu et a une hygiène minimale.
Après une zone de calme, le vent forcit depuis deux jours. Pahi avance toujours cap au 270°. La route. 8 nœuds soit à peu près 15 kilomètres à l’heure, c’est très correct pour la mer. Tout va bien. On commence à parler d’une hypothèse d’arrivée dans 10 jours. Inch’ Allah !
Troisième superbe bain d’océan. Lieu dit fosse abyssale du Cap Vert. Elle est large ! Pahi me traine au dessus du bleu intense qui défile sous les coques.

07 Déc 1995

Mardi 5 décembre 1995

La drosse de barre a cassé. C’est la pièce qui relie les safrans pour diriger Pahi et la barre à roues. Elle a cassé dans la nuit lors d’un surf d’anthologie, une glissade infernale sur le dos d’une vague géante. Je crois qu’on a atteint 16 nœuds (presque 31 kilomètres/h). Surf signé Yo.
Au petit jour, alors que le bateau est à la cape en plein océan, depuis plusieurs heures, tout le monde s’est mobilisé pour la réparation. Y compris les malades. A l’intérieur de la coque Yo et Didier. A l’extérieur, dans l’annexe Pierre-Antoine (P.A) et moi. Mission délicate, essentielle mais réussie. La drosse a un nouvel œil.
Et l’avalanche de records continue. Pahi a franchi hier la barre des 16,8 nœuds. Le surf a duré presque 30 secondes. Dans les coques, la vibration est telle qu’on croit que tout va exploser sous les contraintes. Dehors sur le pont on est éclaboussé par des gerbes d’eau.
Avant la nuit, l’air dépressionnaire annoncé par le bulletin météo radiophonique est arrivé. Dans la nuit le baromètre est ensuite tombé de 1010 à 987 mb, on a donc commencé à se demander comme c’est le cas devant pareil baisse, qu’est ce qui était en train de se passer. Au point d’envisager le pire un…cyclone était en train de se former sur l’océan. Extrêmement rare en cette saison. La Transat des Alizés traverse justement à ce moment là, pour ces conditions généralement calmes.
Comme on nous l’avait appris dans les cours météo avant de partir de Brest, on a commencé à prendre la température de l’eau, de l’air, pour essayer de voir si les conditions de formation d’un ouragan étaient réunies. Quelques jours après on en a déduit que le baromètre avait du taper dans un surf, et que ça l’avait déréglé.
Mystère du large.

06 Déc 1995

Mercredi 6 décembre 1995

Depuis, nous sommes rassurés. Le dernier bulletin météo grandes ondes de RFI (Radio France internationale) est formel, il n’y a pas de cyclone en vue. Tout semble donc clair. Même si le baromètre reste stable ce sera un peu plus d’air que d’habitude mais pas l’apocalypse !
Il fait très humide ces dernières heures, tout est moite. Il nous reste 1100 miles nautiques à parcourir. Presque 2000 kilomètres, on en est au 2/3. On devrait arriver dans une semaine.

05 Déc 1995

Jeudi 7 décembre 1995

Une bonne nuit avec grasse mat’ en plus. Vues les conditions on est repassé à des quarts en solo. Donc, on a plus de temps libre pour nous. Tout le monde est revenu sur le pont, l’équipage est à nouveau totalement opérationnel. Arrêt bain en plein océan, il faut qu’on en profite ce sont les derniers avant l’arrivée. Après ces journées de chaleur moite, ça fait un bien fou, l’eau est aussi tiède. Le vent faibli mais on avance toujours à cinq nœuds. Vu notre vitesse, il faut prévoir encore plus de huit jours.

04 Déc 1995

Vendredi 8 décembre 1995

Belle journée avec pétole. Pas un poil de vent. Sous un soleil de plomb, nous avons pêché une superbe dorade coryphène. C’est la première, pour l’instant nous n’avions « accroché » qu’un petit barracuda. Les vivres commencent en plus à baisser sérieusement. Cette pêche tombe donc à pic.
Un vrai repas de gala. Filets de dorade coryphène en papillote avec ses petits légumes et sa sauce. Dessert : un clafoutis de fruits secs. Le tout arrosé d’un petit blanc marocain légèrement pétillant. Il faut dire qu’on ne se néglige pas. Tous les jours on fait du pain frais. Et avec la même pâte, de temps en temps des pizzas. On n’est pas franchement malheureux.

03 Déc 1995

Samedi 9 décembre 1995

Aujourd’hui on a de l’air. Le stock de provisions continue de descendre et il faut commencer à faire preuve d’imagination pour confectionner des repas sympas.
A force de raguer, la drisse de génois a encore cassé, mais cette fois pas de réparation possible alors on marche sous trinquette. On perd donc de la vitesse.
L’ambiance est bonne. Didier lui n’est toujours pas en forme. Avec le vent qu’on a sous trinquette on arrivera au mieux mercredi prochain, le 13 décembre.
Grosse toilette sur le pont toujours à l‘eau de mer. On s’y est tous bien fait. Nouveau massage océanique à huit nœuds cette fois avec le baudrier en se faisant trainer par le bateau, c’est un vrai rituel, la grande récréation.

02 Déc 1995

Dimanche 10 décembre 1995

Du vent, il y a du bon vent. Il nous reste moins de 600 miles à parcourir jusqu’à la Marina du Bas du fort à Pointe-à-Pitre, arrivée de la transat.
Aujourd’hui, jour du seigneur. Nous avons retrouvé de la farine qui va nous permettre de faire du pain et de la pizza napolitaine. Il fait beau et chaud et nous pensons être à Pointe jeudi. Tutto va bene. Qu’est ce qu’elle était bonne cette pizza. La pizza la plus rapide jamais confectionnée à cet endroit nous filons à sept nœuds.
Finalement réparée, la drisse de génois continue de nous poser des problèmes avec ce vent arrière. Mais nous avançons toujours. Aujourd’hui nouvelle création culinaire : « les pâtes à l’atome ». Atome parce qu’elles ont une saveur atomique ces pâtes, la sauce est faite à base de… whisky. Il ne nous reste presque plus rien à becter, mais on se débrouille.

01 Déc 1995

Lundi 11 décembre 1995

Aujourd’hui, on trace, Pahi a sorti le grand braquet. Une grande journée. Une dorade coryphène s’est prise à l’un de nos hameçons. Elle fait à peu près 7 kilos. Un superbe poisson qu’il a fallu ramener avec beaucoup de délicatesse. Jusqu’au dernier moment il s’est débattu menaçant de casser la ligne. Sous l’eau il avait des reflets, bleu, vert, jaune.
Il a fallu ensuite tuer la bête qui se débattait avec beaucoup de force. D’abord, lui porter le coup de grâce. Ensuite la découper en tranche sur le pont.
On était tous plein de sang, un vrai film d’horreur. Le soir, nous l’avons mangé avec du thym. C’est comme un déjeuner d’adieu.
Nous sommes à 80 miles de l’arrivée et pensons être près de la côte sud-est de la Guadeloupe vers 20h. Nous affalerons la trinquette pour arriver au petit matin. Les vedettes d’accueil, les journalistes pourront ainsi immortaliser l’évènement.
A bord tout le monde est heureux, l’ambiance est tip top. Je commence déjà à regretter la haute-mer. Je m’y étais bien habitué, j’étais en harmonie.
Il va falloir retrouver maintenant la Terre et les hommes.