Dimanche 19 novembre 1995
Casablanca nous laissera à tous les souvenirs d’une fraternité, d’un accueil, et d’une chaleur humaine retrouvés. Une générosité qui redonne du sens à la vie, en échange du rêve que nous transportons dans nos coques.
Mais il y aura aussi le souvenir de ce jeu qui consiste à jauger l’autre, à le repousser poliment avec le sourire lorsque nous montons dans un taxi ou sollicitons un service. Les marocains sont très pauvres. Si le contact est bon, alors en général les deux parties finissent par s’entendre. Ici, il faut savoir être un peu dur en affaire. En tout cas nous avons réussi à embarquer des vivres pour trois semaines. On a écumé les marchés les moins chers de Casa. Nous aurons de la viande pendant quelques jours après nous pêcherons.
Nous avons quitté le port de Casa à 15h. Cela faisait neuf jours que nous y étions amarrés depuis notre arrivée de Brest. Pourtant on a l’impression d’avoir déjà passé ici des mois. Il faut dire que les journées ont été bien remplies autant que les soirées festives avec les autres bateaux engagés dans cette transat. Sans compter les soirées marocaines chez mes amis français Frédéric et sa femme Isabelle. Douce, souriante et attentionnée, on peut dire que Fred a rencontré une perle.
Lundi 20 novembre 1995
Première nuit en mer et reprise des quarts. Des quarts de quatre heures cette fois. Plus d’efforts, pour plus de réconfort après. L’ambiance à bord est bonne avec Didier et Yann. Pierre-Antoine (« PA », le skipper) et Lionel « Yo » sont comme larrons en foire.
La mer est là pour détendre l’atmosphère. Ce début de la grande aventure se passe bien, les conditions météo étant idéales. La mer est belle et il y a toujours un peu de vent, avec du soleil. Mais il ne fait pas trop chaud.
Dans la nuit, les premiers dauphins de la traversée sont venus nous faire un petit coucou alors que Casa, la mosquée Hassan II, et le phare d’El Hank étaient lentement engloutis par l’horizon. Cette nuit j’ai beaucoup pensé à Deborah, cette belle anglaise.
Je pense que nous nous sentons attirés l’un vers l’autre. Nous avons même finalement réussi à nous parler avant d’appareiller. Quand est ce que je me lancerais avant le dernier moment ?
Grande gueule et en réalité si timide.
A l’occasion de cette première journée cool, nous en avons profité pour nous doucher à l’eau de mer, avant de déguster une super salade de Didier. Ce soir, le soleil se couche dans des nuages gris assez bas. Le temps va, peut-être, changer ?
Mardi 21 novembre 1995
Navigation beaucoup plus rapide avec du vent vers Madère. En l’espace d’une journée nous avons fait plus que depuis notre départ de Casa. « Pahi », notre catamaran trace des surfs à quinze nœuds (environ 30 kilomètres/h). Mais avec une telle vitesse, et des records sans arrêts battus, Didier et Yann replongent petit à petit dans le mal de mer.
Comme entre Brest et Casa et nous ne sommes qu’au début de cette transat. Nuit à la cape devant Madère. Il y a des fortes rafales de vent. L’ensemble de l’équipage est crevé, PA notre skipper est malade, il a une énorme fièvre.
Mais on garde moral et confiance.
Mercredi 22 novembre 1995
Nous longeons la côte pour rejoindre Funchal, le principal port de Madère. Il fait encore nuit. Ce côté de l’île se présente comme une falaise en pente douce sur laquelle des centaines de petites lumières comme des lucioles scintillent. Ce sont des maisons. Presque arrivée au but on découvre un aéroport à flanc de montagne où atterrit, dans un vacarme terrible après une pirouette de voltigeur, un jet.
Arrivée à Funchal vers 10 h du matin.
On a quelques difficultés à caser nos deux coques dans ce petit port, où il y a partout des dessins et des inscriptions sur le quai. Pour tout le monde le mot d’ordre aujourd’hui c’est repos. Pour PA, dès que ce sera possible, un toubib parce qu’il est vraiment mal, il lui faut une bonne dose d’antibiotiques.
Un autre copain de la transat vient faire aussi escale à Madère, le monocoque Alsace. A bord tout le monde à l’air en forme. Il faut dire que la dernière nuit en mer, avec tout ce vent, se négocie mieux avec un sloop.
Le soir même une fête est organisée par « Alsace » qui comme son nom l’indique rassemble des gars du Rhin. L’apéro se transforme en une belle « bordée ». La première partie du voyage est donc dignement fêtée.
Jeudi 23 novembre 1995
Très mal dormi. Cuvée de la cuite de la veille. Visite de Funchal, c’est la première fois que j’entends parler portugais et que je découvre un peu ce peuple. Les rues sont propres, pleines de petits arbres bien ordonnés. C’est calme, paisible.
Quelques cartes postales écrites pour la famille et les amis. Une petite collation avec des produits locaux. Ce soir sans faire une fête comme la veille, nous avons accueilli à bord une équipière d’Alsace et mangé à bord. Bon plat bien roboratif : riz, chorizo.
Le bedon bien rempli, je n’ai pas tardé à aller me coucher.