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Dimanche 18 novembre 2007

Dimanche 18 novembre 2007

Tout schuss dans le sud-est, diraient des skieurs aussi rompus au dialecte maritime. On est à 0,4 nœuds environ et on descend sans arrêts depuis deux jours. La tempête bat son plein depuis hier soir avec des rafales pas du tout prévues par les grib météo (bulletins météo reçus par satellite).
Il y a eu, selon ceux qui étaient de quart cette nuit, des pointes jusqu’à cinquante nœuds. Dehors ce n’est que tourbillon de neige. Le blizzard règne en maître et chaque pas se fait avec prudence et courage, surtout un équipement minimal : masque de ski, grosse parka, Sorel, les Moon-boots de la banquise.
Ce matin, (il était midi ! ) brioche au chocolat au petit-déj’. Couché minuit, levé midi, moins le quart, par pudeur. Une nuit de douze heures comme ça sans difficulté, alors que la veille il n’y avait pas de fêtes.
Je crois que c’est l’une des conséquences biologiques principales de la nuit polaire. On dort beaucoup plus. Pourtant ces derniers temps, les efforts physiques me semblent moins forts et violents qu’à mon arrivée. Nous avions alors déplacer tous ces drums de kérosène et ces parachutes.
Mais revenons à notre cap et vitesse. Les dernières prévisions du modèle Tholfsen (Nom d’Audun) donne toujours une sortie aux environs de la mi-décembre, peut-être fin décembre. Ces derniers jours montrent que les choses pourraient s’accélérer au fur et à mesure que nous entrons dans le détroit de Fram.
Si nous continuons à ce rythme, ce que personne ne sait, il se peut que nous sortions des glaces avant même cette prévision. Noël aux tisons du bord ?
Ce qui est certain, c’est que cette partie de l’expé ne ressemble à aucune des deux autres. Nous avons vu les films tournés avec les autres équipages cette semaine.
La première équipe : celle des pionniers. Ils ont vécu une expérience initiatique dure et mystique. La deuxième : équipage plus jeune. Du sérieux mais des conditions climatiques plus clémentes. Une team aux allures d’un camp d’été, au pôle nord.
La troisième : moyenne d’âge plus élevée et présente peut-être pour quelques mois à peine (la dérive semble encore s’accélérée. Elle durerait et six mois de moins que les prévisions initiales). Mission pour cette dernière équipe : le bouclage de la boucle, la finition, la patine sur quelque chose de presque déjà écrit. D’opérationnel et de fonctionnel. De construit.
A moins que le détroit de Fram, ne soit vraiment l’une des nouveaux épisodes forts de cette odyssée glacée. Ça nous sortirait peut-être d’une certaine routine. L’ice-break d’il y a quelques jours (j’ai du mal à être précis, ça aussi c’est un effet de la nuit polaire) avait apporté au moins un peu de sport.
L’aventure est surtout pour l’instant intérieure. Beaucoup de choses s’éclairent. Petit à petit, le fait d’être loin des turbulences de la vie urbaine, apporte je trouve beaucoup de paix et de recul. Comme lorsque j’avais participé en 1995 à la Transat des Alizés. Ces voyages de plusieurs mois me permettent vraiment de faire le break. C’est un luxe aujourd’hui. Pour cette nouvelle expé, par rapport à Pahi et les alizés, je suis payé et j’exerce mon métier.
J’ai d’ailleurs un plaisir énorme à faire autant des photos que des images vidéo. Construire et finaliser un montage autant que d’écrire un article, retrouver pleinement la photo noir et blanc. Toutes ces activités passionnantes, me procure un grand bonheur.
Je ne me suis pas trompé, c’est sûr, je peux exprimer mes émotions grâce à ces media. Compte tenu de l’émotion que je ressens à l’écoute de la musique ou à l’observation d’une image, c’est clair que l’audio, le visuel et l’écrit sont mes modes d’expression.
En mer, sur la glace ou dans les déserts, les émotions se matérialisent en noir et blanc sur la pellicule et sur le papier. J’aime le voyage, la mer mais pas trop la montagne. Par le passé, j’ai fait de l’escalade ou du parachutisme mais aujourd’hui je n’aime plus être en hauteur. Pourtant, il faut que je grimpe en haut du grand mât de Tara. Pour l’image, pour l’émotion, pour l’avoir fait, pour immortaliser ce paysage si particulier dans lequel nous évoluons.
Côté perso, là aussi des impressions se renforcent, c’est la minute philosophique !
Il me semble qu’au fond dans la vie, on est toujours seul. Mais on peut de temps en temps partager des émotions avec les autres et, là, il y a plein de soleil dans le jardin.
Nous sommes des fourmis perdues dans un espace temps d’une Terre qui nous dépasse, d’une nature qui se joue de notre orgueil et notre prétention.
Je comprends ici, en Arctique, que nous pouvons partager des choses, mais qu’il ne faut pas trop en demander, être trop exigeant.
Des fois nous ne pouvons partager que des sourires, des grimaces, quelques mots sympas.
Avec une femme on partage des sentiments, des discussions, de la tendresse, des caresses, de la jouissance, de l’écoute, des attentions, de la complicité. En un mot, de l’amour. C’est forcément plus fort et nous sortons alors de cette solitude.
Mais dans ce type de relation intime aussi, rien n’est dû, rien n’est acquis, rien n’est immuable et éternel. Beauté et éternité de l’instant présent. Difficile d’en arriver à ce degré de sagesse et de simplicité.
Chimie rare et complexe que celle des relations humaines profondes. Sur Tara, les tensions existent comme partout, mais on se doit de les régler avec intelligence, douceur.
Sinon, dans un espace clos comme celui-là ça deviendrait rapidement invivable. Ne pas laisser s’installer une mauvaise situation, une mauvaise ambiance, régler le différend trouver des solutions. C’est à ça que Grant, notre chef d’expé, s’emploie aussi avec talent.
Il faut autant que possible, chaque fois essayer de ne pas voir que d’un côté, de son côté. Rester ouvert et sans préjugés, ni juger tout court. En livrant ce que l’on pense et en pensant sincèrement, avec conviction, que ce n’est que son point de vue.
Que sommes-nous pour agir autrement ? Avons-nous oublié qu’à l’échelle de l’histoire de la Terre, l’humanité ne représente que quelques minutes. Quelques minutes de l’exploration des talents que la vie, miracle biologique, nous a donné.
Défendre ces idées, même si ce ne sont que des idées. Sans arrière pensée. Avec pureté et sincérité. C’est ce qu’il me reste à exprimer. Simplicité et pureté des sentiments.
Dieu que tout cela est beau et compliqué. Complexe.
Et que notre aventure est courte sur ce sol qui là n’en est pas un !
Combien notre vie est extraordinaire et fragile à la fois. La vie, le présent est émotion pure. Le passé et le futur : des leurres. Une perte de temps. Des souvenirs ou une simple hypothèse en forme de point d’interrogation.
En fait quelle perte de temps ! Nous sommes de toute façon le fruit bon ou mauvais, bon et mauvais de ce passé. Il faut faire le tri, se libérer. Ne pas priver la vie de ce présent qu’est le présent. Vivre ce qu’on a vraiment envie de vivre. Si on a envie de rien vivre on en a le droit aussi.
Freedom. Life is freedom. Never sacrify such a jewel. Je pense que ceux qui sacrifient ce bijou ont peur, de l’affronter et de le vivre.
Dans ce cas là, on se rassure. On se pose, on s’entoure d’objets, on prend un crédit, on fait des enfants. Cela ne suffirait pas, pour moi, pour donner le sens que je veux donner à ma vie. C’est ainsi. J’entends me battre pour ceux que j’aime mais ce que j’aime. Je ne veux pas sacrifier ma réalisation personnelle, même s’il faut faire malheureusement des choix.
« Ce qu’on te reproche cultive le » disait Jean Cocteau, c’est exactement ça. Je rends hommage à tous ceux qui se sont battus pour essayer de vivre un peu ce qu’il rêvait le plus de vivre, quelque soit ces rêves, ceux là on réussit leur passage sur Terre.
Car, c’est bien de ça dont il s’agit.
Le sillage d’une étoile filante un soir particulièrement clair. Si déjà le sillage est joli c’est bien, si en plus il laisse une ou deux belles idées sur Terre c’est inespéré. De là à faire réfléchir pour que d’autres aussi soient peut-être heureux, quel accomplissement !
Tara, l’Arctique et Sasha le russe m’ont fait comprendre le sens profond d’un mot que je connaissais pourtant depuis longtemps : May be…Peut-être !

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