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Lundi 22 janvier 2008

Lundi 22 janvier 2008

On est sorti ! Mise en route du moteur tribord vers 13H00 hier. La glace était plus clairsemée autour de nous. Il faisait assez doux ce qui a accéléré sa fonte. La décision avait été prise dans la matinée de mettre en route et d’essayer de fendre la glace devant l’étrave.
Après plusieurs manœuvres pour mettre Tara dans le bon sens vers l’Est, la coque a commencé à s’animer, un sillage est naît. Après un an et demi d’immobilité de surface, la goélette s’est relancée comme si elle s’était arrêtée hier. Après quelques premiers mètres assez faciles, où le bateau réussissait à pousser les plaques de glace, nous sommes entrés dans des zones beaucoup plus ardues.
Pour trouver la bonne route, trois hommes ont été postés à des endroits stratégiques, une vigie à la proue, Hervé le Goff. Grant en vigie en hauteur, dans le nid de pie et Hervé Bourmaud à la barre. À sa grande satisfaction, le capitaine retrouvait enfin le fonctionnement normal d’un bateau et les responsabilités qui vont avec.
Tout ce beau monde communiquait par VHF pour essayer d’orienter au mieux la coque dans le dédale de plaques de banquise.
Je ne le savais pas encore, mais c’était une nuit et une matinée exténuantes qui s’annonçaient pour moi. Pendant toute cette période, deux équipes calées sur des quarts de six heures se sont relayées à ces postes.
Je me rappelle de cette lutte menée sans rien lâcher une bonne partie de la nuit, pour éviter des blocs de glace, les pousser, monter quelquefois dessus et attendre que Tara en redescende, au milieu d’un amas de gros glaçons. Quelquefois du billard à cinq bandes. Un moment fascinant à vivre en tout cas. Mettre le cap sur la gauche ou la droite était à chaque fois un pari mais Tara, docile soldat du froid, réagissait à merveille, faisait le job.
Ce combat a duré la nuit entière, je me souviens de mon quart alors que j’étais au poste de vigie avant. Hervé, le capitaine, était toujours à la barre depuis le départ sans d’autres points de repère autre que ce que je lui disais dans la VHF. Je la tenais au bout de ma main qui luttait contre la gelure : Barre à bâbord 2°. Pousse les glaçons avec le moteur. Machine 0. Essaye de glisser sur tribord 5°, sinon on va se manger un gros bloc.
Danse avec les glaçons. Un slalom inoubliable sous une pleine lune (quelle chance !) qui nous permettait de voir très correctement en revanche.
Le lendemain, quand je suis revenu au poste de vigie pour le quart suivant, j’avais récupéré à peine de la nuit dernière. Minh Ly était malade et ne pouvait pas prendre son quart, alors j’ai du la remplacer.
Je comptais les minutes, j’étais épuisé. Je me suis assis sur le pont il y avait de moins en moins de glaçons on était sur l’ice-edge. La route était quasiment libre et j’ai eu le privilège de conduire Tara en dehors du dernier cercle de glace. Comme des petits cairns qui balisaient le chemin de sortie du pays des glaces. Et puis ce grand spectacle : D’un côté les rayons du soleil encore sous l’horizon, qui nous récompensait d’une belle lumière douce et orangée, une aube comme on en avait plus vu depuis longtemps.
De l’autre la lune, l’astre de la nuit polaire éclairait avec conviction sa partie du ciel. Les deux astres offraient un spectacle aux atours très différents mais aussi beau l’un que l’autre, chacun à sa manière. Deux versions d’une ode à la beauté de la nature. Sans aucune rivalité entre le deux acteurs.
Tara voguait alors en eaux libres. Fin du combat.
Sortir de la glace, ça se mérite, ça ne se fait pas comme ça.
On doit s’acquitter de quelques formalités avant de quitter les lieux, ce qui fait qu’on ne peut pas partir comme un voleur. Impossible d’éviter la réception de l’établissement, un minimum de dialogue, de donner un peu de sa personne.
C’est la moindre des choses que de remercier ainsi ce monde gelé. Politesse, respect et tout simplement art de la relation. Après tant de mois passés ensemble, ça n’aurait pas de sens de fuir sans y mettre les formes, sans élégance.
A partir de ce moment, j’ai commencé à récupérer un peu, surtout qu’en fin de journée, nous sommes repassés en quart de trois équipes sur quatre heures. Ça tombait bien. Pendant tout ce temps depuis la veille, j’avais alimenté en même temps le QG parisien en articles écrits, envoyés par satellite au fur et à mesure de notre avancée.
Aujourd’hui mercredi, nous avons parcouru plus de 300 miles depuis notre départ de Port banquise, et nous nous approchons à huit nœuds de la terre, de Longyearbyen. Je reviens donc aux îles Spitzberg, ma base de départ, pour rejoindre Tara en avion. Il y a cinq mois à peine, mais avec ce que j’ai vécu cela représente un monde.
C’est une veillée d’armes parce que nous allons bientôt retrouver la civilisation, encore à petite dose. Un dernier sas avant Lorient où là ce sera sûrement un choc !

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