Vendredi 30 novembre 2007
Après notre escapade vers l’ouest, nous sommes redescendus un grand coup vers le sud. À grandes enjambées. À force de regarder fréquemment les chiffres indiqués par le GPS, j’ai l’impression que nous sommes aujourd’hui vraiment portés par le courant du détroit de Fram. Même quand il n’y a pas de vent comme depuis plusieurs jours, nous dérivons assez vite.
Depuis l’ice-break, la glace s’est totalement reconstituée. Ce n’est pas pour autant que nous nous promenons très loin de Tara. Les sorties ski ne sont plus au programme depuis quelques jours. En fait, la glace peut bouger à tout instant, alors les recommandations sont : prudence et prudence !
Le rythme de la nuit polaire suit son court. Mais j’ai remarqué qu’après la semaine dernière, une semaine entière de tempête, il m’était très difficile de reprendre le rythme habituel. Je me suis senti fatigué en ce début de semaine.
Comme nous sommes en plus de corvées de glace, l’une des activités les plus physiques du bord, ça ne tombe pas bien. Mais il faut faire face. Ces sorties font du bien au moins au moral et puis les siestes et les nuits sont là pour corriger le tir.
D’autant que ma partie com’ est aussi particulièrement relevée cette semaine. J’ai plusieurs commandes de films et toujours bien sûr les logs à écrire. C’est une semaine carrément sans photos noir et blanc, je n’ai pas le temps.
Les images de blizzard que j’ai tournées récemment en vidéo ont été particulièrement appréciées par le QG à Paris. Top !
J’ai quand même la sensation de tourner un peu en rond. Je crois finalement que tant que la glace ne bougera pas à nouveau, sauf autre événement majeur, mon journal de bord et les photos noir et blanc seront les deux hobbies les plus créatifs dont je disposerais.
L’ambiance à bord reste bonne, même si de l’eau a déjà coulé sous les ponts. On commence forcément à se connaître un peu mieux alors des affinités se confirment suivant le film des évènements.
En fait, il y a toujours des tensions autour de la communication. Les films, les logs, les demandes de Paris. Quelquefois à tort ou à raison, avec ou sans justesse. En tout cas ce qui est sûr c’est que ça agace Grant, le chef d’expédition. Il m’a demandé qu’on évite d’en parler à table, il trouve que ça met une mauvaise ambiance.
Je respecterai cette demande. Je suis pour la paix des ménages et du bord. Mais j’ai bien sûr mon opinion là-dessus. Si vraiment c’est nécessaire, que je me trouve interpellé ou questionné je ne me priverais pas quand même de répondre, si c’est important. Sinon je m’abstiendrais.
Ce qui est reproché aux commandes com’ de Paris, c’est que ce qui est raconté sur le site ne serait pas assez conforme à la réalité vécue sur le terrain. Ce sont les thèmes de certaines vidéos et logs qui sont contestés. Même au pôle, on rencontre ces distorsions entre centre de décisions et opérationnels. Mais nous sommes ici sous contrats, employés par Tara, ce sont eux les boss, point barre.
Ça ne sert donc à rien de ressasser ses états d’âme. Cela renforce encore ma conviction que la photographie noir et blanc et ce journal de bord sont ici mes deux vrais espaces de liberté, il faut que je les soigne particulièrement.
Il y a quelques jours, nous parlions de prévisions de sortie vers la mi-décembre, il se trouve que nous allons franchir le 80 °N ce week-end, donc début décembre. Quinze jours d’avance sur le programme et en même temps nous sommes beaucoup plus ouest, et longeons la côte du Groenland. Atterrirons-nous à Longyearbyen (îles Spitzberg) ou en Islande ?
L’Aventure de Tara, c’est avant tout ça, ce suspens : Où et quand cette expé s’achèvera ?
De l’avis général en tout cas, une sortie islandaise ne déplairait pas à l’équipage.
Et Noël ? Sur la glace ? C’est aujourd’hui assez probable. J’aurai 41 ans en mer et sur la glace. Magique !
Aujourd’hui, une plongée sous glace avec caméra est programmée pour Sam et Grant. Cameraman sous-marin à la ville (un peu frustré donc), je ferais la sécurité surface. J’intègrerai ensuite ces images de Grant dans un prochain film.