logo

Journal de bord

12 Déc 2007

Vendredi 30 novembre 2007

Après notre escapade vers l’ouest, nous sommes redescendus un grand coup vers le sud. À grandes enjambées. À force de regarder fréquemment les chiffres indiqués par le GPS, j’ai l’impression que nous sommes aujourd’hui vraiment portés par le courant du détroit de Fram. Même quand il n’y a pas de vent comme depuis plusieurs jours, nous dérivons assez vite.
Depuis l’ice-break, la glace s’est totalement reconstituée. Ce n’est pas pour autant que nous nous promenons très loin de Tara. Les sorties ski ne sont plus au programme depuis quelques jours. En fait, la glace peut bouger à tout instant, alors les recommandations sont : prudence et prudence !
Le rythme de la nuit polaire suit son court. Mais j’ai remarqué qu’après la semaine dernière, une semaine entière de tempête, il m’était très difficile de reprendre le rythme habituel. Je me suis senti fatigué en ce début de semaine.
Comme nous sommes en plus de corvées de glace, l’une des activités les plus physiques du bord, ça ne tombe pas bien. Mais il faut faire face. Ces sorties font du bien au moins au moral et puis les siestes et les nuits sont là pour corriger le tir.
D’autant que ma partie com’ est aussi particulièrement relevée cette semaine. J’ai plusieurs commandes de films et toujours bien sûr les logs à écrire. C’est une semaine carrément sans photos noir et blanc, je n’ai pas le temps.
Les images de blizzard que j’ai tournées récemment en vidéo ont été particulièrement appréciées par le QG à Paris. Top !
J’ai quand même la sensation de tourner un peu en rond. Je crois finalement que tant que la glace ne bougera pas à nouveau, sauf autre événement majeur, mon journal de bord et les photos noir et blanc seront les deux hobbies les plus créatifs dont je disposerais.
L’ambiance à bord reste bonne, même si de l’eau a déjà coulé sous les ponts. On commence forcément à se connaître un peu mieux alors des affinités se confirment suivant le film des évènements.
En fait, il y a toujours des tensions autour de la communication. Les films, les logs, les demandes de Paris. Quelquefois à tort ou à raison, avec ou sans justesse. En tout cas ce qui est sûr c’est que ça agace Grant, le chef d’expédition. Il m’a demandé qu’on évite d’en parler à table, il trouve que ça met une mauvaise ambiance.
Je respecterai cette demande. Je suis pour la paix des ménages et du bord. Mais j’ai bien sûr mon opinion là-dessus. Si vraiment c’est nécessaire, que je me trouve interpellé ou questionné je ne me priverais pas quand même de répondre, si c’est important. Sinon je m’abstiendrais.
Ce qui est reproché aux commandes com’ de Paris, c’est que ce qui est raconté sur le site ne serait pas assez conforme à la réalité vécue sur le terrain. Ce sont les thèmes de certaines vidéos et logs qui sont contestés. Même au pôle, on rencontre ces distorsions entre centre de décisions et opérationnels. Mais nous sommes ici sous contrats, employés par Tara, ce sont eux les boss, point barre.
Ça ne sert donc à rien de ressasser ses états d’âme. Cela renforce encore ma conviction que la photographie noir et blanc et ce journal de bord sont ici mes deux vrais espaces de liberté, il faut que je les soigne particulièrement.
Il y a quelques jours, nous parlions de prévisions de sortie vers la mi-décembre, il se trouve que nous allons franchir le 80 °N ce week-end, donc début décembre. Quinze jours d’avance sur le programme et en même temps nous sommes beaucoup plus ouest, et longeons la côte du Groenland. Atterrirons-nous à Longyearbyen (îles Spitzberg) ou en Islande ?
L’Aventure de Tara, c’est avant tout ça, ce suspens : Où et quand cette expé s’achèvera ?
De l’avis général en tout cas, une sortie islandaise ne déplairait pas à l’équipage.
Et Noël ? Sur la glace ? C’est aujourd’hui assez probable. J’aurai 41 ans en mer et sur la glace. Magique !
Aujourd’hui, une plongée sous glace avec caméra est programmée pour Sam et Grant. Cameraman sous-marin à la ville (un peu frustré donc), je ferais la sécurité surface. J’intègrerai ensuite ces images de Grant dans un prochain film.

12 Déc 2007

Dimanche 18 novembre 2007

Tout schuss dans le sud-est, diraient des skieurs aussi rompus au dialecte maritime. On est à 0,4 nœuds environ et on descend sans arrêts depuis deux jours. La tempête bat son plein depuis hier soir avec des rafales pas du tout prévues par les grib météo (bulletins météo reçus par satellite).
Il y a eu, selon ceux qui étaient de quart cette nuit, des pointes jusqu’à cinquante nœuds. Dehors ce n’est que tourbillon de neige. Le blizzard règne en maître et chaque pas se fait avec prudence et courage, surtout un équipement minimal : masque de ski, grosse parka, Sorel, les Moon-boots de la banquise.
Ce matin, (il était midi ! ) brioche au chocolat au petit-déj’. Couché minuit, levé midi, moins le quart, par pudeur. Une nuit de douze heures comme ça sans difficulté, alors que la veille il n’y avait pas de fêtes.
Je crois que c’est l’une des conséquences biologiques principales de la nuit polaire. On dort beaucoup plus. Pourtant ces derniers temps, les efforts physiques me semblent moins forts et violents qu’à mon arrivée. Nous avions alors déplacer tous ces drums de kérosène et ces parachutes.
Mais revenons à notre cap et vitesse. Les dernières prévisions du modèle Tholfsen (Nom d’Audun) donne toujours une sortie aux environs de la mi-décembre, peut-être fin décembre. Ces derniers jours montrent que les choses pourraient s’accélérer au fur et à mesure que nous entrons dans le détroit de Fram.
Si nous continuons à ce rythme, ce que personne ne sait, il se peut que nous sortions des glaces avant même cette prévision. Noël aux tisons du bord ?
Ce qui est certain, c’est que cette partie de l’expé ne ressemble à aucune des deux autres. Nous avons vu les films tournés avec les autres équipages cette semaine.
La première équipe : celle des pionniers. Ils ont vécu une expérience initiatique dure et mystique. La deuxième : équipage plus jeune. Du sérieux mais des conditions climatiques plus clémentes. Une team aux allures d’un camp d’été, au pôle nord.
La troisième : moyenne d’âge plus élevée et présente peut-être pour quelques mois à peine (la dérive semble encore s’accélérée. Elle durerait et six mois de moins que les prévisions initiales). Mission pour cette dernière équipe : le bouclage de la boucle, la finition, la patine sur quelque chose de presque déjà écrit. D’opérationnel et de fonctionnel. De construit.
A moins que le détroit de Fram, ne soit vraiment l’une des nouveaux épisodes forts de cette odyssée glacée. Ça nous sortirait peut-être d’une certaine routine. L’ice-break d’il y a quelques jours (j’ai du mal à être précis, ça aussi c’est un effet de la nuit polaire) avait apporté au moins un peu de sport.
L’aventure est surtout pour l’instant intérieure. Beaucoup de choses s’éclairent. Petit à petit, le fait d’être loin des turbulences de la vie urbaine, apporte je trouve beaucoup de paix et de recul. Comme lorsque j’avais participé en 1995 à la Transat des Alizés. Ces voyages de plusieurs mois me permettent vraiment de faire le break. C’est un luxe aujourd’hui. Pour cette nouvelle expé, par rapport à Pahi et les alizés, je suis payé et j’exerce mon métier.
J’ai d’ailleurs un plaisir énorme à faire autant des photos que des images vidéo. Construire et finaliser un montage autant que d’écrire un article, retrouver pleinement la photo noir et blanc. Toutes ces activités passionnantes, me procure un grand bonheur.
Je ne me suis pas trompé, c’est sûr, je peux exprimer mes émotions grâce à ces media. Compte tenu de l’émotion que je ressens à l’écoute de la musique ou à l’observation d’une image, c’est clair que l’audio, le visuel et l’écrit sont mes modes d’expression.
En mer, sur la glace ou dans les déserts, les émotions se matérialisent en noir et blanc sur la pellicule et sur le papier. J’aime le voyage, la mer mais pas trop la montagne. Par le passé, j’ai fait de l’escalade ou du parachutisme mais aujourd’hui je n’aime plus être en hauteur. Pourtant, il faut que je grimpe en haut du grand mât de Tara. Pour l’image, pour l’émotion, pour l’avoir fait, pour immortaliser ce paysage si particulier dans lequel nous évoluons.
Côté perso, là aussi des impressions se renforcent, c’est la minute philosophique !
Il me semble qu’au fond dans la vie, on est toujours seul. Mais on peut de temps en temps partager des émotions avec les autres et, là, il y a plein de soleil dans le jardin.
Nous sommes des fourmis perdues dans un espace temps d’une Terre qui nous dépasse, d’une nature qui se joue de notre orgueil et notre prétention.
Je comprends ici, en Arctique, que nous pouvons partager des choses, mais qu’il ne faut pas trop en demander, être trop exigeant.
Des fois nous ne pouvons partager que des sourires, des grimaces, quelques mots sympas.
Avec une femme on partage des sentiments, des discussions, de la tendresse, des caresses, de la jouissance, de l’écoute, des attentions, de la complicité. En un mot, de l’amour. C’est forcément plus fort et nous sortons alors de cette solitude.
Mais dans ce type de relation intime aussi, rien n’est dû, rien n’est acquis, rien n’est immuable et éternel. Beauté et éternité de l’instant présent. Difficile d’en arriver à ce degré de sagesse et de simplicité.
Chimie rare et complexe que celle des relations humaines profondes. Sur Tara, les tensions existent comme partout, mais on se doit de les régler avec intelligence, douceur.
Sinon, dans un espace clos comme celui-là ça deviendrait rapidement invivable. Ne pas laisser s’installer une mauvaise situation, une mauvaise ambiance, régler le différend trouver des solutions. C’est à ça que Grant, notre chef d’expé, s’emploie aussi avec talent.
Il faut autant que possible, chaque fois essayer de ne pas voir que d’un côté, de son côté. Rester ouvert et sans préjugés, ni juger tout court. En livrant ce que l’on pense et en pensant sincèrement, avec conviction, que ce n’est que son point de vue.
Que sommes-nous pour agir autrement ? Avons-nous oublié qu’à l’échelle de l’histoire de la Terre, l’humanité ne représente que quelques minutes. Quelques minutes de l’exploration des talents que la vie, miracle biologique, nous a donné.
Défendre ces idées, même si ce ne sont que des idées. Sans arrière pensée. Avec pureté et sincérité. C’est ce qu’il me reste à exprimer. Simplicité et pureté des sentiments.
Dieu que tout cela est beau et compliqué. Complexe.
Et que notre aventure est courte sur ce sol qui là n’en est pas un !
Combien notre vie est extraordinaire et fragile à la fois. La vie, le présent est émotion pure. Le passé et le futur : des leurres. Une perte de temps. Des souvenirs ou une simple hypothèse en forme de point d’interrogation.
En fait quelle perte de temps ! Nous sommes de toute façon le fruit bon ou mauvais, bon et mauvais de ce passé. Il faut faire le tri, se libérer. Ne pas priver la vie de ce présent qu’est le présent. Vivre ce qu’on a vraiment envie de vivre. Si on a envie de rien vivre on en a le droit aussi.
Freedom. Life is freedom. Never sacrify such a jewel. Je pense que ceux qui sacrifient ce bijou ont peur, de l’affronter et de le vivre.
Dans ce cas là, on se rassure. On se pose, on s’entoure d’objets, on prend un crédit, on fait des enfants. Cela ne suffirait pas, pour moi, pour donner le sens que je veux donner à ma vie. C’est ainsi. J’entends me battre pour ceux que j’aime mais ce que j’aime. Je ne veux pas sacrifier ma réalisation personnelle, même s’il faut faire malheureusement des choix.
« Ce qu’on te reproche cultive le » disait Jean Cocteau, c’est exactement ça. Je rends hommage à tous ceux qui se sont battus pour essayer de vivre un peu ce qu’il rêvait le plus de vivre, quelque soit ces rêves, ceux là on réussit leur passage sur Terre.
Car, c’est bien de ça dont il s’agit.
Le sillage d’une étoile filante un soir particulièrement clair. Si déjà le sillage est joli c’est bien, si en plus il laisse une ou deux belles idées sur Terre c’est inespéré. De là à faire réfléchir pour que d’autres aussi soient peut-être heureux, quel accomplissement !
Tara, l’Arctique et Sasha le russe m’ont fait comprendre le sens profond d’un mot que je connaissais pourtant depuis longtemps : May be…Peut-être !

11 Déc 2007

Vendredi 9 novembre 2007

Ce soir, j’ai l’impression que nous commençons à être sous l’effet de la nuit polaire. Un brin déjanté, voire irascible par instant ou carrément speed, c’est ce que je ressens. En ce qui me concerne est-ce la nuit ou la fatigue qui est à l’origine de cet état ? Difficile de le dire ?
Je dors bien, là dessus il n’y a pas de doute. On s’observe puisque la majorité d’entre nous, vie cela pour la première fois.
En skiant sur la banquise aujourd’hui, je pestais intérieurement sur tout. Les appareils photos dont les batteries tombaient à plat vitesse grand v. Pourtant c’est l’effet du froid, normal.
Puis je reprenais ma colère intérieure sur Minh Ly cette fois. Intronisée guide de randonnée, elle nous laissait à peine le temps d’admirer le panorama de Tara perdu dans sa nuit. J’ai l’impression que je ne suis visiblement pas le seul à me sentir un peu bizarre. A cran.
En tout cas mes yeux me piquent, je suis fatigué et je n’ai pas eu le courage aujourd’hui de faire plus de quelques photos noir et blanc. Je n’étais pas non plus très inspiré. J’ai l’impression de refaire les mêmes photos. Je crois que la corvée de glace ce matin, plus le ski tout cet après-midi, m’ont fatigué. Au moins je vais dormir cette nuit encore comme un bébé.
Le fait dominant de cette semaine a été cet ice-break, cassure de la banquise, dans la nuit de dimanche à lundi.
Après cet épisode, tout le reste de la semaine, la glace a continué à se compresser, casser, bouger pour finalement se ressouder.
C’est ce qui nous a permis de faire cette ballade cet après midi au milieu des hummocks (blocs de glace qui sortent verticalement de la banquise). On avançait prudemment, mais la glace était largement praticable en toute sécurité.
Le peu de lumière qu’il y avait, fournissait quand même à la glace de quoi s’illumimer. Il y avait des blocs impressionnants. Ça laisse imaginer les pressions et la puissance qui est libérée pour rompre de tels murs de glace.
La vie a bien trouvé son rythme maintenant : es banhās, les corvées et les sorties quand c’est possible. Régulièrement, on fait aussi des fêtes. C’est bon pour le moral des troupes.
Hier soir Audun et Astérix nous ont présenté leur modèle de prévision de la fin de cette dérive. Pour eux, si les conditions météo restent les mêmes les jours qui viennent, on devrait passer le 80° Nord entre la mi et la fin décembre. Ceci ne veut pas dire que l’on sera sorti des glaces pour autant.
Suivant qu’on soit près du Groenland ou du Spitzberg, tout peut changer. La banquise longe presque toute la côte est du Groenland jusqu’à l’Islande. Donc par 80° N, on est toujours dans la glace côté Groenland alors que côté Spitzberg, on est en eau libre.
Nous continuons ce samedi une route nord-ouest. La route du sud n’a donc pas l’air encore d’actualité. La dérive transpolaire aurait-elle changé ? L’autoroute du sud est-elle bloquée ?
Le réveil ce matin a été difficile. Après presque neuf heures de sommeil, on a presque du mal à s’extirper de la couchette. Incroyable. Une véritable hibernation. Sommeil profond en plus. Dehors il fait bien noir ce matin, plus de ciel étoilé.
Hier, on a vu un début d’aurore boréale. Mais avec le ciel nuageux comme ça, ça n’est pas évident d’en voir. Autre question sans réponse. Dame nature décide beaucoup de choses ici. C’est ainsi.

10 Déc 2007

Dimanche 4 novembre 2007

Journée cool.
Grasse mat’ jusqu’à neuf heures puis préparation du déjeuner du midi : je suis le cuistot !
Au menu : pommes de terre au four avec lardons et gousses d’ail.
Escalopes de dindes à la crème avec champignons.
Fin de semaine en douceur.
Changement de rythme certain au fur et à mesure que nous entrons dans la nuit polaire.
Le lever se fait vers 8H30 en moyenne pour tout le monde. Petit-déj’ tranquille et, en gros, les corvées commencent pour les uns et les autres vers 10H.
Il faut dire que les gros travaux d’Hercule sont, pour l’instant, terminés.
Le pont est aménagé et tous les parachutes sont à bord. Ainsi que les drums de kérosène, bien arrimés.
Dans cette période où l’activité sur le pont baisse, je trouve qu’il est de plus en plus important de rester actif comme le disait Audun. Il ne s’agit pas de faire des exploits surhumains mais de garder des centres d’intérêt. Comme la photo, les logs pour le site, ce journal de bord.
Ceci dit les corvées du bord permettent de maintenir de toute façon un rythme.
On essuie une nouvelle série de tempêtes en ce moment. Pas de dégâts cette fois pour l’instant. La kapch, tente russe qui a remplacé la tente blanche arrachée par des rafales de vent et récupérée en pièces détachées à plusieurs kilomètres, a été solidement fixée dans la glace.
Chaque fois qu’une tempête commence, on fait d’abord une route nord avant de repartir ensuite vers le sud.
Actuellement on fait route au nord-ouest. Ce qui est étrange c’est que même après un épisode venteux, la glace continue de glisser, de bouger avec l’océan. Comme une inertie, une erre. L’énergie du vent semble emmagasinée par toute la banquise.
Les jours prochains on devrait avoir de nouveaux digging days, les journées de pelletage, la neige a encore recouvert toute une partie du pont.
Lors de la soirée d’Halloween où il avait mordu Hervé, Tiksi s’était montré agressif avec Audun qui l’énervait en jouant avec lui. Hervé B. avait du le corriger ce soir là.
Mais maintenant les chiens sont revenus au calme, particulièrement Tiksi.
Il faut dire que chacun d’entre nous je pense, fait plus attention avec eux.
Moins d’excitation, de caresses, de jeux avec le jeune Tiksi surtout. Une fois l’expé terminée, qu’adviendra-t-il de ce gentil Laïka Yakoutz ?
Il faut en tout cas que je ne relâche pas mon effort en matière de photo et d’écriture. C’est ce qui permet le mieux à mon sens de raconter la vie ici, plus que la vidéo.
23H30, ce même dimanche. Alors qu’après une partie de tarot nous allons nous glisser dans nos couettes respectives, je sors pour satisfaire un besoin naturel.
Pendant ce temps, j’entends au loin dans le noir, des craquements où plutôt des sons un peu sourds.
J’écoute un peu plus attentivement avant d’annoncer cela aux autres équipiers. Je décide de ne prévenir que les deux Hervé et Minh Ly.
Après être sortis de Tara, avoir constaté qu’ils y avaient des tâches sombres inhabituelles autour du bateau, ils braquent le grand projecteur de recherche, révélant un spectacle inouï.
Ce qui, il y a deux heures à peine, était une vaste étendue blanche infinie, s’est transformée en une île entourée d’eau.
Quelle sensation que de retrouver comme ça le son de l’eau. En quelques minutes tout le monde est sur le pont habillé. Autour du bateau, ces cassures, ces leads, s’agrandissent très vite.
Sans s’affoler mais en s’activant quand même, une partie de l’équipage récupère sur la glace le matériel scientifique restant. Les cassures forment maintenant des lits de mer qui s’agrandissent à une vitesse incroyable, la glace est en mouvement.
Ce qui, il y a quelques heures s’étendait à l’infini, ce désert blanc sur lequel nous gambadions avec insouciance, laisse place peu à peu à l’Océan Arctique qui reprend ses droits.
On entend le son cristallin de l’eau. Cette mer gelée reprend vie en quelques secondes.
Une nouvelle page de l’aventure commence à s’écrire dans ces nouveaux éléments visuels et sonores. Jusqu’à deux heures du matin nous rentrerons tout le matériel. Demain au programme plongée sous glace pour Grant et Sam. Pour moi : logs et montage d’un petit film vidéo. Mais avant dodo pour mener à bien tout ça.
En tout cas, une nouvelle phase a commencé ce soir. Elle est loin de me déplaire. Un peu d’action et de nouveauté, j’aime ça.
J’ai cru sentir ce soir une pointe de nostalgie chez Grant et Hervé qui voient le début de la fin de l’aventure approché. C’est certainement un choc pour eux, après plus d’un an de dérive passé à bord.

09 Déc 2007

Vendredi 26 octobre 2007

Nous sommes maintenant vraiment dans la nuit polaire. Plus que jamais le rythme des journées, le fait d’être vraiment occupé est important. Les moments de plaisir et de relax sont donc d’autant plus appréciés.
Le repas, les apéros, le dodo, la lecture, un bon film sur DVD.
Si on se fie à l’avancée de ces derniers jours, on devrait être à Longyearbyen (Iles Spitzberg) vers la fin décembre. Mais le plus tard sera le mieux.
D’expérience quand on finit une aventure, il y a souvent une partie de nostalgie lorsque le port est en vue. Je ne suis pas pressé d’arriver. J’ai tout mon temps jusqu’à fin avril 2008, avec ce congé sans solde.
Et puis lorsqu’on quittera la glace, qu’on ne pourra plus marcher ou skier dessus, ça va beaucoup me manquer, c’est sûr.
Mais on n’en est pas encore là. Alors il faut profiter au maximum de cette aventure.
C’était vraiment magnifique hier soir la lune qui éclairait la glace avec le vent qui charriait la neige. Un pur moment de poésie. Heureusement que je suis venu ici.
Je me suis remis à fond à la photo noir et blanc, je passe des heures dans le froid sans me rendre compte. Comme à l’époque où je me promenais pendant des heures dans les rues de Montmartre à Paris, mon boitier photo à la main. Même sensation de liberté, de paix quand j’écris.
Il faut en tout cas que je profite au maximum du luxe d’avoir le temps. Le must du must, je trouve à notre époque.
Alors que des millions de gens courent partout, avec des contradictions à tous les étages, ici nous avons une vie très saine et simple.
Un mélange de travail physique et intellectuel. Ça me va bien, c’est beaucoup plus équilibré que mon quotidien habituel, où tout tourne surtout autour du travail.
Il faut essayer, réussir à construire autre chose. Plus de liberté, plus de fun, de plaisir dans le travail. On verra sur quoi l’aventure Tara Arctic débouchera. Pour l’instant, CARPE DIEM.
La semaine a été bien remplie avec deux articles écrits pour le journal papier de Tara Expéditions. Michèle Aulagnon, la rédactrice en chef de ce numéro, a apprécié mon papier sur les trois femmes du bord. Tant mieux. J’espère que ce sera pareil pour le portrait de Grant et Hervé.
Cette semaine, il y a eu aussi les envois de reportages vidéo que j’ai tournés et montés pour Paris et les chaînes télévisées françaises. Une fois compressé, les envois de ces reportages durent des heures. Pendant les quarts on relance la liaison satellite des fois dix ou vingt fois. La transmission iridium se coupe très souvent. Normal, on fait passer par un trou de souris le maximum d’images et d’interviews. Une vraie galère. On est tellement nord que c’est le seul moyen. Total : presque trois jours pour transférer un reportage classique d’une minute trente secondes. Et ce n’est que la moitié de ce qui m’était demandé. Bref !
J’ai hâte de voir des aurores boréales. Pour l’instant, la lune amène déjà un peu de magie, mais à mon avis les aurores ce sera un cran au dessus.
En tout cas lorsqu’on photographie la lune, on a l’impression de prendre un cliché de la Terre depuis une autre planète. La planète des glaces. Mais non nigaud, c’est la Terre ! Le toit du monde.
Lorsque le ciel est dégagé, c’est aussi une merveille. La Grande Ourse, les Pléiades, Cassiopée, l’étoile polaire, juste au dessus de nous. Et des étoiles, filantes.
Un ciel comme j’en ai déjà vu dans le désert marocain et sur l’océan atlantique, loin de toutes pollutions lumineuses.
Ici le sable c’est la neige. Les dunes sont en glace. En fait qu’elle soit de sable ou de neige, le dessin des dunes est le même et l’artiste porte le même nom : le vent.
Le Borée sculpte la neige et la glace, comme le Sirocco dans le désert de sable. Ils ne se rencontreront jamais mais pourtant ils travaillent avec le même soin, la même technique, le même savoir. Chacun sur sa latitude.
Sinon à cause de la montée d’eau dans les puits de safrans, on a du redescendre pas mal de drums du pont ainsi que les parachutes. Pour faire remonter la ligne de flottaison et ne prendre aucun risque de voie d’eau.
La sortie des glaces reste une préoccupation majeure, tout comme la résistance des trappes de puits de safrans et la flottabilité de Tara. On a une quille de glace de plusieurs mètres de profondeur immergée en dessous de la coque.
Aujourd’hui, on est à 83°30’ N et on descend franchement cap au sud. Du vent est encore annoncé pour demain. La dérive va donc se poursuivre avec une bonne vitesse, elle est actuellement de l’ordre de 0,2 nœuds ! (Moins d’un kilomètre/heure).
Mais le cap est bon !