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Author Archives: vincent-hilaire

10 Déc 2007

Dimanche 4 novembre 2007

Journée cool.
Grasse mat’ jusqu’à neuf heures puis préparation du déjeuner du midi : je suis le cuistot !
Au menu : pommes de terre au four avec lardons et gousses d’ail.
Escalopes de dindes à la crème avec champignons.
Fin de semaine en douceur.
Changement de rythme certain au fur et à mesure que nous entrons dans la nuit polaire.
Le lever se fait vers 8H30 en moyenne pour tout le monde. Petit-déj’ tranquille et, en gros, les corvées commencent pour les uns et les autres vers 10H.
Il faut dire que les gros travaux d’Hercule sont, pour l’instant, terminés.
Le pont est aménagé et tous les parachutes sont à bord. Ainsi que les drums de kérosène, bien arrimés.
Dans cette période où l’activité sur le pont baisse, je trouve qu’il est de plus en plus important de rester actif comme le disait Audun. Il ne s’agit pas de faire des exploits surhumains mais de garder des centres d’intérêt. Comme la photo, les logs pour le site, ce journal de bord.
Ceci dit les corvées du bord permettent de maintenir de toute façon un rythme.
On essuie une nouvelle série de tempêtes en ce moment. Pas de dégâts cette fois pour l’instant. La kapch, tente russe qui a remplacé la tente blanche arrachée par des rafales de vent et récupérée en pièces détachées à plusieurs kilomètres, a été solidement fixée dans la glace.
Chaque fois qu’une tempête commence, on fait d’abord une route nord avant de repartir ensuite vers le sud.
Actuellement on fait route au nord-ouest. Ce qui est étrange c’est que même après un épisode venteux, la glace continue de glisser, de bouger avec l’océan. Comme une inertie, une erre. L’énergie du vent semble emmagasinée par toute la banquise.
Les jours prochains on devrait avoir de nouveaux digging days, les journées de pelletage, la neige a encore recouvert toute une partie du pont.
Lors de la soirée d’Halloween où il avait mordu Hervé, Tiksi s’était montré agressif avec Audun qui l’énervait en jouant avec lui. Hervé B. avait du le corriger ce soir là.
Mais maintenant les chiens sont revenus au calme, particulièrement Tiksi.
Il faut dire que chacun d’entre nous je pense, fait plus attention avec eux.
Moins d’excitation, de caresses, de jeux avec le jeune Tiksi surtout. Une fois l’expé terminée, qu’adviendra-t-il de ce gentil Laïka Yakoutz ?
Il faut en tout cas que je ne relâche pas mon effort en matière de photo et d’écriture. C’est ce qui permet le mieux à mon sens de raconter la vie ici, plus que la vidéo.
23H30, ce même dimanche. Alors qu’après une partie de tarot nous allons nous glisser dans nos couettes respectives, je sors pour satisfaire un besoin naturel.
Pendant ce temps, j’entends au loin dans le noir, des craquements où plutôt des sons un peu sourds.
J’écoute un peu plus attentivement avant d’annoncer cela aux autres équipiers. Je décide de ne prévenir que les deux Hervé et Minh Ly.
Après être sortis de Tara, avoir constaté qu’ils y avaient des tâches sombres inhabituelles autour du bateau, ils braquent le grand projecteur de recherche, révélant un spectacle inouï.
Ce qui, il y a deux heures à peine, était une vaste étendue blanche infinie, s’est transformée en une île entourée d’eau.
Quelle sensation que de retrouver comme ça le son de l’eau. En quelques minutes tout le monde est sur le pont habillé. Autour du bateau, ces cassures, ces leads, s’agrandissent très vite.
Sans s’affoler mais en s’activant quand même, une partie de l’équipage récupère sur la glace le matériel scientifique restant. Les cassures forment maintenant des lits de mer qui s’agrandissent à une vitesse incroyable, la glace est en mouvement.
Ce qui, il y a quelques heures s’étendait à l’infini, ce désert blanc sur lequel nous gambadions avec insouciance, laisse place peu à peu à l’Océan Arctique qui reprend ses droits.
On entend le son cristallin de l’eau. Cette mer gelée reprend vie en quelques secondes.
Une nouvelle page de l’aventure commence à s’écrire dans ces nouveaux éléments visuels et sonores. Jusqu’à deux heures du matin nous rentrerons tout le matériel. Demain au programme plongée sous glace pour Grant et Sam. Pour moi : logs et montage d’un petit film vidéo. Mais avant dodo pour mener à bien tout ça.
En tout cas, une nouvelle phase a commencé ce soir. Elle est loin de me déplaire. Un peu d’action et de nouveauté, j’aime ça.
J’ai cru sentir ce soir une pointe de nostalgie chez Grant et Hervé qui voient le début de la fin de l’aventure approché. C’est certainement un choc pour eux, après plus d’un an de dérive passé à bord.

09 Déc 2007

Vendredi 26 octobre 2007

Nous sommes maintenant vraiment dans la nuit polaire. Plus que jamais le rythme des journées, le fait d’être vraiment occupé est important. Les moments de plaisir et de relax sont donc d’autant plus appréciés.
Le repas, les apéros, le dodo, la lecture, un bon film sur DVD.
Si on se fie à l’avancée de ces derniers jours, on devrait être à Longyearbyen (Iles Spitzberg) vers la fin décembre. Mais le plus tard sera le mieux.
D’expérience quand on finit une aventure, il y a souvent une partie de nostalgie lorsque le port est en vue. Je ne suis pas pressé d’arriver. J’ai tout mon temps jusqu’à fin avril 2008, avec ce congé sans solde.
Et puis lorsqu’on quittera la glace, qu’on ne pourra plus marcher ou skier dessus, ça va beaucoup me manquer, c’est sûr.
Mais on n’en est pas encore là. Alors il faut profiter au maximum de cette aventure.
C’était vraiment magnifique hier soir la lune qui éclairait la glace avec le vent qui charriait la neige. Un pur moment de poésie. Heureusement que je suis venu ici.
Je me suis remis à fond à la photo noir et blanc, je passe des heures dans le froid sans me rendre compte. Comme à l’époque où je me promenais pendant des heures dans les rues de Montmartre à Paris, mon boitier photo à la main. Même sensation de liberté, de paix quand j’écris.
Il faut en tout cas que je profite au maximum du luxe d’avoir le temps. Le must du must, je trouve à notre époque.
Alors que des millions de gens courent partout, avec des contradictions à tous les étages, ici nous avons une vie très saine et simple.
Un mélange de travail physique et intellectuel. Ça me va bien, c’est beaucoup plus équilibré que mon quotidien habituel, où tout tourne surtout autour du travail.
Il faut essayer, réussir à construire autre chose. Plus de liberté, plus de fun, de plaisir dans le travail. On verra sur quoi l’aventure Tara Arctic débouchera. Pour l’instant, CARPE DIEM.
La semaine a été bien remplie avec deux articles écrits pour le journal papier de Tara Expéditions. Michèle Aulagnon, la rédactrice en chef de ce numéro, a apprécié mon papier sur les trois femmes du bord. Tant mieux. J’espère que ce sera pareil pour le portrait de Grant et Hervé.
Cette semaine, il y a eu aussi les envois de reportages vidéo que j’ai tournés et montés pour Paris et les chaînes télévisées françaises. Une fois compressé, les envois de ces reportages durent des heures. Pendant les quarts on relance la liaison satellite des fois dix ou vingt fois. La transmission iridium se coupe très souvent. Normal, on fait passer par un trou de souris le maximum d’images et d’interviews. Une vraie galère. On est tellement nord que c’est le seul moyen. Total : presque trois jours pour transférer un reportage classique d’une minute trente secondes. Et ce n’est que la moitié de ce qui m’était demandé. Bref !
J’ai hâte de voir des aurores boréales. Pour l’instant, la lune amène déjà un peu de magie, mais à mon avis les aurores ce sera un cran au dessus.
En tout cas lorsqu’on photographie la lune, on a l’impression de prendre un cliché de la Terre depuis une autre planète. La planète des glaces. Mais non nigaud, c’est la Terre ! Le toit du monde.
Lorsque le ciel est dégagé, c’est aussi une merveille. La Grande Ourse, les Pléiades, Cassiopée, l’étoile polaire, juste au dessus de nous. Et des étoiles, filantes.
Un ciel comme j’en ai déjà vu dans le désert marocain et sur l’océan atlantique, loin de toutes pollutions lumineuses.
Ici le sable c’est la neige. Les dunes sont en glace. En fait qu’elle soit de sable ou de neige, le dessin des dunes est le même et l’artiste porte le même nom : le vent.
Le Borée sculpte la neige et la glace, comme le Sirocco dans le désert de sable. Ils ne se rencontreront jamais mais pourtant ils travaillent avec le même soin, la même technique, le même savoir. Chacun sur sa latitude.
Sinon à cause de la montée d’eau dans les puits de safrans, on a du redescendre pas mal de drums du pont ainsi que les parachutes. Pour faire remonter la ligne de flottaison et ne prendre aucun risque de voie d’eau.
La sortie des glaces reste une préoccupation majeure, tout comme la résistance des trappes de puits de safrans et la flottabilité de Tara. On a une quille de glace de plusieurs mètres de profondeur immergée en dessous de la coque.
Aujourd’hui, on est à 83°30’ N et on descend franchement cap au sud. Du vent est encore annoncé pour demain. La dérive va donc se poursuivre avec une bonne vitesse, elle est actuellement de l’ordre de 0,2 nœuds ! (Moins d’un kilomètre/heure).
Mais le cap est bon !

08 Déc 2007

Samedi 20 octobre 2007

La semaine est passée comme une fusée depuis mon dernier journal de bord. Deux logs (articles pour le web) rédigés cette semaine sur la nuit polaire des anciens et des nouveaux. Sinon, semaine normale surtout consacrée à la préparation du bateau et à l’écriture.
Vendredi alors que j’étais en train d’aider au conditionnement des parachutes, Michael (PC parisien, responsable de la partie vidéo) m’a appelé pour me demander de réaliser un complément de reportage sur la tempête et de mettre en boîte, au cas où, la fin de la préparation du bateau.
Je suis donc ressorti aussi sec du bateau en me disant en moi-même : « Je vais filmer la fin de la préparation des parachutes ».
Et là il a fallu faire comprendre à la plupart des membres de l’équipage, sans avoir trop le temps de l’expliquer, que j’avais enfilé la casquette du journaliste et que je n’étais plus là pour les tâches auxquelles je participais avant. Pas évident.
Surtout que certains notamment Hervé et Grant considèrent très clairement que la communication passe après certaines priorités liées au bateau.
Les parachutes sont-ils des priorités ? Je sens que je vais devoir lutter régulièrement pour m’extraire de certaines activités. Car souvent ce qui est vraiment intéressant à filmer nécessite aussi mon aide. Difficile dilemme.
Cet après midi, au moment de la fuite sur la safran bâbord et la fuite de CO2, j’ai interrompu toute activité journalistique et puis j’ai aidé ensuite à la redescente des parachutes.
Je pense que ça aurait été très mal vu que j’exprime le souhait de filmer cette séquence, intéressante par ailleurs pour illustrer le travail pendant la tempête, comme me l’a demandé Michael. Bref, c’est pas toujours facile, et pour corser le tout, la caméra fait des siennes. Le froid commence à lui causer des petits soucis.
Ça m’a mis de mauvaise humeur, mais bon il n’y a pas mort d’homme et la vie continue.
Mais entre le matériel usé et pas toujours complet, la difficulté de pouvoir filmer certaines séquences je ne suis pas très optimiste côté images.
Je ne pense pas que je pourrai faire beaucoup de ce côté-là, mais on va essayer.
Bruno, le cameraman du premier équipage m’avait prévenu. Même si globalement, je pense que les équipiers qui sont là en ce moment se rendent plus disponibles pour les images et les interviews, que pendant le premier hivernage.
Je pense qu’il faut que je mette surtout le paquet sur les logs et les photos. Optimisme de rigueur et patience arctique au programme. Sinon les logs écrits et les photos noir et blanc, je trouve que ça marche vraiment. Ça c’est très encourageant.
Patience et calme, demain il fera un peu jour ! Et puis y’a banhā !

07 Déc 2007

Dimanche 14 octobre 2007

Toujours pas facile de tenir ce journal. Belle soirée hier avec l’anniversaire de Sam, le chef mécanicien. Un vrai gueuleton à la clé : nems maison, glace maison, bœuf au oignons maison Marion made, un vrai régal. Et des gens pensent qu’on souffre !
Hier soir, après cette fête, la vaisselle a été l’occasion d’une franche partie de rires et délires entre Elie, Hervé et moi. Un peu grisé par le bourgogne et le cognac, le nettoyage de toutes ces assiettes, plats et couverts est devenu un énorme sketch bruyant où dans la conversation, les protagonistes mélangeaient français, italien et anglais.
La vaisselle a quand même duré une bonne heure. Toute cette bonne humeur était notre moyen à nous de nous accrocher pour mener à bien cette tâche.
Aujourd’hui, réveil général assez tardif pour tout le monde. La grass’mat’ dominicale a cours aussi en arctique. Légère gueule de bois générale.
Un peu plus corsée pour Hervé, Elie et moi : conférer la vaisselle de la veille.
Petit-déj’ rapidement suivi d’une collation. Le plat norvégien typique : saucisse purée. Très apprécié bien sûr par Audun, notre norvégien du bord !
Cet après-midi, l’événement, l’attraction, c’était la descente du tracteur russe du pont de Tara. Pendant plusieurs jours il avait fallu construire avec des drums vides et de la neige un pont pour permettre à la machine de retrouver la glace. Une construction pilotée par Audun.
Des poutres et des planches métalliques censées supporter au sommet de cette montagne de glace les trois tonnes de l’engin.
Bon signe, le moteur avait accepté de démarrer le matin. Pendant toute la journée d’hier, Sam avait chauffé et dégelé le corps du tracteur avec un heater, un ventilateur soufflant de l’air chaud.
Une fois le plat national norvégien englouti par les dix convives, tout le monde s’est retrouvé sur la glace. Les uns avec des appareils photos, les autres, (ma pomme !) avec une caméra au poing pour immortaliser la manœuvre.
Sam s’est mis aux commandes de ce tracteur rustique qu’il n’avait jamais conduit. Après avoir trouvé la marche avant et la marche arrière, entre deux rires, le tracteur était retenu vers l’avant et vers l’arrière par des bouts au cas où il prendrait brutalement une direction pas souhaitée, Sam l’a progressivement descendu du pont de Tara. Avec une grande précaution. Au cas où les choses se passeraient mal, il avait enfilé un baudrier attaché à une drisse, un siège éjectable artisanal.
Le tracteur a tout doucement glissé hors du bateau sans encombre. Sam a levé les bras en signe de victoire. C’était drôle. Après le léger stress de la descente, un moment de détente s’improvisait. À tour de rôle la plupart des équipiers ont pris les commandes. Certains ne sachant plus l’arrêter, d’autres pétrifiés de peur, d’autres le manipulant correctement. Une belle récréation.
Ce soir, le rituel banhā a commencé à partir de 17H. Un bon moyen de vider la fatigue et de se détendre avant une nouvelle semaine qui sera certainement marquée par une progression de la nuit.
Nous entamons la deuxième quinzaine d’octobre. Selon Grant, on pourrait voir déjà des aurores boréales. Les étoiles ont en tout cas déjà fait leur apparition dans la voute céleste. Peut-être reverra-t-on un ours ces prochains jours ?
Le premier vu cette semaine a fait une apparition furtive, avant d’être pris en chasse par Zagrey. Ce qui est sûr, c’est que les chiens sentent des traces en ce moment. Ils ont fait une belle escapade hier, peut-être sur les traces du fugitif.
Apparemment, il pourrait y avoir aussi des animaux marins qui sont sous la glace car Zagrey aboie souvent au dessus des leads (les cassures dans la banquise). Là où peuvent sortir pour respirer des phoques, par exemple.

06 Déc 2007

384ème jour de dérive

Date : 26 septembre 2007
Position: 85°18’N 003°17’E
Route fonds et vitesse: 140° et 0,2 kts
Vent: N-NW, 4 kts
Visibilité: Faible, neige, couvert
Jour: 13 heures / jour.
Glace de mer: Stable
Température de l’air: -11,5˚C
Température de l’eau: -1.7˚C

Hier, alors que l’ensemble de l’équipage était en train d’admirer une magnifique parhélie, l’effet optique est fascinant, la dernière rotation a eu lieu. Par un beau soleil, avec une légère brume au sol, le Twin Otter a atterri. Ultime approvisionnement avant l’hiver et la nuit polaire, l’avion ressemblait à une épicerie volante. Bananes, oignons, pommes de terre, œufs, lait, chocolat, bières…etc.…Un peu comme ces camionnettes qui sillonnent les villages de campagne et signalent leur arrivée par des coups de klaxons.
Quelques minutes plus tôt, devant Tara, hivernants et “visiteurs” s’étaient spontanément abandonnés à une brève mais sincère séance d’embrassades et d’accolades. Même après seulement quatre petits jours passés ensemble sur Tara, la banquise aidant, pour certains des liens s’étaient déjà tissés. Dans un tourbillon de neige le scooter des neiges partait vers la piste, des mains s’agitant des deux côtés.
D’épicerie volante, le Twin se transformait en taxis colis scientifique pour le retour. De bananes et œufs “l’inventaire à la Prévert” devenait: Deux sismomètres, un ballon et un treuil, un vieux sondeur à glace, des échantillons biologiques pour un laboratoire de Marseille, un radiomètre d’été. Dans la carlingue, à côté de toute cette masse métallique, les trois visiteurs. Le directeur logistique et l’équipe de télévision guatémaltèque. Et Il aura fallu, à l’avion rouge et blanc la totalité de la piste glacée, 400 mètres, pour arracher toute cette masse du sol. Lentement, l’aéronef s’est élevé.
Pour les dix hivernants de Tara, le départ de cet avion représentait en soi un spectacle. Et le début d’une période d’isolement. Nouvelle pour les uns, une de plus pour les autres. Car il ne devrait plus y avoir de mouvements aériens autour du bateau pendant quelques mois maintenant. Peut-être jusqu’à la sortie des glaces.

06 Déc 2007

Mardi 9 octobre 2007

Premier tour de corvée en tant que cuistot. Ce midi, j’ai préparé un crumble, une grande première ! Également un gratin de coquillettes au jambon, champignons et fromage. Le tout agrémenté de noix muscade rappée, bien sûr.
J’ai l’impression que ça a été plutôt apprécié, personne n’a fait la grimace !
En cuisinant, je repensais à Pahi, le catamaran sur lequel j’ai traversé pour la première fois l’Atlantique. On faisait du pain et des pizzas à bord en surfant sous les alizés.
Là, il s’agit de faire la cuisine pour dix personnes. Les quantités sont donc plus importantes et les ambitions aussi.
Tara est un quatre étoiles à côté de Pahi. Dès le départ finalement, Pahi n’était pas destiné en terme de budget, à aller beaucoup plus loin que les Caraïbes.
Sur Tara, Marion conçoit les plats et suit les différents cuistots de corvée. Chaque jour, des menus sont établis à l’avance, elle fournit les recettes. Bref, tout est quand même assez encadré pour que ça fonctionne bien. Et quand on a bossé deux ou trois heures dans le froid on a presque toujours bon appétit.
Aujourd’hui même si l’absence de soleil se fait déjà ressentir, on a eu droit à une belle journée. Un ciel assez clair et là encore des couleurs pastel uniques.
On continue le nettoyage du ice-camp, le dispositif scientifique déployé autour de Tara sur la banquise, en prévision de la sortie des glaces. Le gros morceau après le rangement de la soute avant et le déplacement des drums, sera de les hisser sur le pont du bateau.
Une fois les glaces brisées et le bateau libre de ses mouvements, il faudra qu’il n’y ait plus rien sur la glace. Le problème est que le nombre de drums excède les possibilités de stockage de Tara. Une solution est évoquée avec la venue d’un brise-glace norvégien, à moins que le kérosène loge dans les cuves du bord, mais pour l’instant on en est là.
La soirée barbecue de samedi dernier a été un succès. Une belle fête où tout le monde était en phase. Feu, musique, bon vin et musique manouche. Un cocktail déjà éprouvé.
À bord l’ambiance est toujours bonne. La petite communauté poursuit sa vie tranquille pour l’instant. La glace reste calme. Mais des leads, des grandes cassures, se sont formées un peu partout autour du bateau dans la glace, à une distance de 300 mètres. Les dernières prévisions de sortie parlent d’une fin de dérive au 15 novembre. Qu’en sera-t-il ?
Le bateau et l’équipage s’y préparent en tout cas.
Sinon, je peux dire que ni mon travail, ni ma maison ne me manque. J’ai ce que j’ai voulu depuis longtemps et j’en suis heureux.
Grâce aux mails, j’ai en plus des tas de nouvelles des personnes importantes pour moi. Beaucoup plus que dans la vie normale, donc tout va bien. Je crois que je vais repartir souvent !

05 Déc 2007

La pelle et la bête

Date : 26 novembre 2007
Position : 81°08’ N 2°41’ W
Cap et vitesse : 168° et 0,1 nds
Vent : 4,7 nds N
Visibilité : Moyenne
Durée du jour : Nuit polaire mais lune
Glace de mer : Stable
Temp air : – 30°
Temp eau : – 1,7°

S’il est bien deux amis indissociables en « Terre Arctique », c’est bien la bête (la tempête) et la pelle. Après une semaine d’activité réduite à cause d’un coup de vent, c’est avec bonheur que les Taranautes recommencent à vivre un peu plus dehors en cette fin novembre. Le programme post-tempête était écrit d’avance.
D’abord, c’est la vocation première de l’expédition, reprise de la plupart des activités scientifiques hormis l’EM 31 (mesure de l’épaisseur de la glace). Arrêt définitif. Ensuite, activité « digging » en anglais. Pelletage.
Car le vent déplace des quantités de neige impressionnantes. En une semaine, la totalité de la coque de Tara mis à part le tableau arrière a été ensevelie par une gigantesque vague blanche compacte. Le nez de la goélette dépassait à peine de la neige.
Ce matin dès 9H00, les premiers « diggers », « pelleteurs », se sont mis à la tâche pour libérer Tara de cet épais vêtement blanc. Et finalement une journée ne sera pas suffisante et de nouveaux coups de pelle seront nécessaires demain et après demain pour dégager les flancs de la coque grise.
La belle et la bête n’ont pas finis leur chassé croisé, même si pour l‘instant les prévisions météo annoncent un temps calme. En tout cas, cet exercice physique fait du bien à tout le monde. On s’aère. Le vent, la tempête c’est bien au début, mais comme après une bonne semaine de mistral dans le midi au bout d’un moment on tourne un peu en rond dans le bateau.
Mais heureusement après la tempête vient le calme…Le calme avant le retour des pelles et de la bête.

05 Déc 2007

Jeudi 4 octobre 2007

Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir acquis une nouvelle conviction sur une chose. Nous arrivons quelquefois à avoir un pouvoir sur les évènements. Ici en arctique, là ou souffle le Borée, le vent du nord, si tu ne te prends pas en main, tu peux rapidement sombrer dans une mollesse qui conduit très vite à la déprime voire pire. Tu dois être actif, te trouver des occupations qui te font bouger et te bouger.
Aller sur la banquise ou faire un travail dans le froid quel qu’il soit, t ‘apportes à chaque fois une satisfaction. Après tu n’as plus de problèmes pour gérer le mental dans l’instant présent, puisque que tu es occupé. Occupé mais pas stressé. Tu fais ton job du moment en prenant ton temps. Un peu à la manière d’Audun qui avant chaque geste réfléchit. Comment faire mieux, y-a-t-il une autre solution ? Sans devenir autiste pour autant, se payer le luxe de vivre les choses à un rythme normal, de prendre le temps de réfléchir, je trouve que c’est tout simplement extraordinaire. Et sain.
Ici, sur la banquise on a vite fait de se laisser aller. Il faut s’imposer un rythme, à fortiori quand on n’a pas le moral. A terre, lorsque je travaille au bureau tout va tellement vite, trop vite. Ce n’est pas un problème de rythme, mais au bout d’un moment je trouve que tu n’arrives plus à avoir du recul sur les choses, sur toi. Tes rapports avec les autres. Tu n’as plus le temps de décanter.
L’intérêt ici, c’est que chaque jour tout apporte chaque fois son lot de nouveautés. Je me sens des affinités fortes avec les personnes d’ici.
C’est tellement agréable quand la bonne volonté est là naturellement et un esprit de franche camaraderie. Tellement plus facile dans ce contexte, de faire des efforts pour s’entendre avec les gens, de leur montrer qu’on les respecte. D’abord en faisant ce qu’on attend de nous dans la communauté, sans imposer ses idées. A l’écoute, tout en donnant son point de vue.
Bref, c’est très intéressant de se retrouver comme ça en communauté, devoir compter sur toi et aussi sur les autres. Car là où nous sommes, dans ce grand désert blanc, un esprit de corps est pour moi impératif, indispensable. Même instinctif.
A part ça, on s’achemine tranquillement vers la nuit polaire, qui doit être complète à la fin de la semaine. Pour l’instant, on finit de ranger la soute avant avec Audun, et puis j’écrirai un log sur nos deux chiens, Tiksi et Zagrey, demain avec Hervé B.
Aujourd’hui le banhā était particulièrement chaud. Sasha, notre scientifique russe de
St-Petersburg, a fait bouillir la marmite jusqu’à 100°C. Je suis sorti de là, avant de m’administrer trois sauts d’eau glacée sur la tête, avec l’impression d’un léger vertige.
Il faut aller doucement avec tout ça à mon avis.
Le plus important en arctique est d’être patient, affirme la phrase d’un russe manuscrite sur un petit drapeau dans le PC COM’ de Tara. Je crois que c’est absolument vrai et je complèterai par de l’autodiscipline pour s’astreindre à un minimum d’activité.
Maintenant que le camp autour du bateau est presque totalement récupéré et rangé, avec en plus l’arrivée de la nuit, il y aura forcément moins d’activité à l’extérieur. Il faudra donc rester vigilant sur les dégâts de la paresse. La glace est un antidote. A moi de savoir m’en servir.
Sinon, pas de tensions pour l’instant entre nous. Samedi ou dimanche prochain, suivant la météo, il est question d’un barbecue arrosé de quelques bières pour fêter le dernier rayon de soleil. C’est une idée de Grant, le chef de base. Du bonheur et de l’originalité : un barbecue sur la glace. Deux éléments que tout oppose et que l’homme réunit le temps d’une soirée.
Le banhā m’a cuit, je crois que je vais avoir un sommeil profond.

04 Déc 2007

Éternelle idylle ?

Date : 6 décembre 2007
Position : 80°22’ N 2°43’ W
Cap et vitesse : 229° et 0,2 nds
Vent : 8,3 nds E
Visibilité : Nulle
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Instable
Temp. air : – 9,8°
Temp. eau : – 1,7°

Non, soyons sérieux. L’histoire entre Tara et la banquise ne continuera pas éternellement. Certes, ce n’est plus une aventure, au bout d’un an et demi c’est devenu une relation à part entière. Mais c’est inexorable, que la banquise le veuille ou non, nous assistons à la chronique d’une rupture annoncée. Les deux amants profitent encore de chaque seconde, tout comme leurs pages (et oui c’est nous, les Taranautes !).
Tara, fière goélette polaire battant pavillon français regarde fixement vers le sud. Comme un capitaine veut mener à bon port sa cargaison, accomplir sa mission, il ne quitte pas des yeux la destination finale.
Mais là ou la banquise est maline, c’est que Tara peut bien regarder obsessionnellement vers le sud, c’est elle qui lui dicte sa direction. Elle qui tient la barre. Elle l’a pris dans ses flancs depuis plus d’un an, entouré d’un amour dur mais dans l’ensemble sans failles, alors elle estime avoir quelques prérogatives.
La principale d’entre elles, c’est qu’elle ne va pas laisser partir son amant comme ça, sur un malentendu, un coup de tête.
Alors que l’eau libre serait maintenant à 60 km de la coque en aluminium et bien ce matin elle lui faire du sud-ouest. Pour faire durer le plaisir. Elle n’est pas prête, elle s’est habituée à sa présence. Même métallique, sa coque fait désormais parti de son corps blanc. Pourtant, ce n’est qu’une dernière valse polaire. Pour repousser un peu plus cette date. Mais dans une, deux, trois ou quatre semaines au mieux, elle devra faire le deuil. Des vents de nord-ouest sont annoncés. Elle devra rendre forcément Tara à la civilisation.
Seul son bel amant résistera ensuite à la chaleur des eaux de l’Atlantique nord. Elle, dans un cri désespéré, une complainte finale se fondra définitivement avec son élément initial, l’eau. « Tu es née eau, tu redeviendras eau », ce pourrait être son épitaphe.
Car, celle qui choisit chaque jour le cap de ce bel hidalgo d’aluminium, au nom qui claque comme un talisman ou celui d’un dieu maori, celle qui se joue de cette proue fière tournée vers le sud, c’est elle qui finalement ne survivra pas à la fonte de cette union. Elle sait « qu’elle ne porte la culotte » encore que quelques temps. Ce n’est pas qu’elle est autoritaire, elle est trop puissante pour ce genre de travers, mais choisir le destin de la « glacionef », c’est s’assurer encore quelques heures d’intimité avec elle.
En réalité, la passion qui consume la banquise, ce rêve d’une éternelle idylle, vient tous simplement du fait qu’elle se sait mortelle. Alors que pendant des mois, elle a choisi avec malice, sans alternative, la destinée de son Apollon. Demain elle perdra tout. L’amour, la vie.
Pure passion. Force de l’instant présent. C’est peut-être comme ça que la glace a trouvé le chemin de l’éternité. Par la force de ses sentiments.

04 Déc 2007

Mardi 2 octobre 2007

Les jours raccourcissent de plus en plus. On sent que la grande nuit approche. Je finis mon quart, il est 7H30 du matin, je viens de préparer café et thé pour ceux qui vont se lever. Elie est tombée du lit pour apprendre encore plus le français, elle est vraiment très motivée.
Cette partie de quart n’est pas désagréable non plus. Il faut dire que Hervé (Bourmaud) le capitaine et co-équipier de quart, a fini le sien à 4h00 au lieu de 3H00. Une heure de moins pour moi, ça change pas mal les choses.
Il a eu des soucis avec la charge de la batterie, et du coup il a été obligé de remettre en marche le groupe. Déjà que Sam et Hervé ont des soucis pour raccorder la pompe de kérosène, ceci aurait pour conséquence d’amener une surconsommation de gas-oil. La gestion des stocks, si aucune solution n’est trouvée, peut donc s’avérer délicate si la dérive se prolongeait. Pour la première fois, je crois avoir entendu la glace bougée autour de ma couchette, ça grinçait. On verra dans quelques jours quand la glace craquera vraiment si c’était ça.
Hier, alors que la tempête annoncée passait au dessus de nous, l’un des grands jeux du jour a consisté en des paris. Des paris sur la sortie des glaces, la fin de la dérive. Audun s’est livré avec Hervé (le Goff) baptisé « Astérix », (c’est parce qu’il est roux avec une moustache type gauloise fournie, elle rappelle le petit homme à l’œil pétillant et à la célèbre potion magique), à de savants calculs.
Le résultat était qu’il reste actuellement à Tara et à son équipage 107 jours pour boucler son aventure dans le désert blanc. Bref, les paris sont ouverts. S’agira-t-il de mi-janvier comme le prédisent Audun et Asterix, ou au contraire de la mi-novembre selon les autres courants, plus pessimistes, « wait and see ».
Pour l’instant tout la monde a surtout une envie, c’est en tout cas ce qui se dit dans le carré, prolonger l’aventure au maximum.
Peu de temps après mon début de quart, j’ai réussi à faire mon premier yoga. Ça s’est pas mal passé. J’ai réussi à trouver une place à peu près confortable dans le carré près de la cuisine. J’ai mis mes petits baffles au sol avec mon tapis, et mis à part un « asana », une posture, j’ai réussi à faire ce que je fais en France. Malgré le bruit du générateur, malgré le peu de place, j’ai réussi à me concentrer. Sans réveiller, c’est l’essentiel, les neuf autres personnes endormies dans le ventre du bateau.
Je renouvellerai à chaque quart. Finalement, ce quart est un peu plus fatiguant parce qu’il coupe vraiment la nuit, mais je pense qu’on peut y faire des choses qu’on ne peut pas faire au précédent. C’est comme toute chose ou tout être, les bons et les mauvais côtés vont ensemble.
Normalement aujourd’hui, on devrait assister à la fin de la dépression. Une journée de plus plutôt décontracte, à moins que de nouvelles données ou évènements n’interviennent. Le vent a quand même considérablement baissé.
En discutant au petit-déj’ avec Astérix, une idée s’est précisée. Comme j’y avais pensé depuis quelques mois, j’ai décidé que je ferais un reportage noir et blanc sur la nuit polaire. Avec le reflex argentique du bord. Ça devrait être intéressant de jouer avec la nuit, les lumières artificielles, les visages, les ambiances, les contrastes….etc.
Ça me plaît beaucoup cette idée. La vidéo ce sera pour les couleurs. La photo pour le noir et blanc. Ca se précise !