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Author Archives: vincent-hilaire

03 Déc 2007

Le pot d’alu contre le pot de glace

Date : 15 décembre 2007
Position : 79°16’ N 3°11’ W
Cap et vitesse : 350° et 0,2 nds
Vent : SW 12 nds
Visibilité : Bonne
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Instable
Temp. air : – 0,44°
Temp. eau : – 1,7°

Depuis la débâcle de cette semaine, et après une nuit de calme total, une lutte sans merci semble commencer entre Tara et la glace. Aujourd’hui et particulièrement en ce moment alors que j’écris ces lignes, les cloisons de ma cabine résonne de pressions énormes continues. A un nouvel assaut succède un autre, toute la cabine entière vibre et Tara bouge en même temps. C’est vraiment très impressionnant et je pèse mes mots. Toute la structure du bateau est compressée et tremble de toute part. Tiens bon Tara ! D’un coup plus rien. Et puis de nouveau quelques craquements. La glace, «classe », prévient avant son nouvel assaut. Puis se déchaîne alors une puissance colossale. On dirait qu’elle veut tout broyer. Montrer sa puissance coûte que coûte quel qu’en soit le prix. Sans conscience. Le seul patron ici. Seigneur sur ses terres. Nous sommes clairement des intrus. Des visiteurs. Mais quelle chance d’assister à tout ça.
Hervé Bourmaud, le capitaine de Tara fait des rondes, vérifie s’il n’y a pas de voies d’eau. Dans ces moments là on a l’impression que tout peut arriver. Une partie de votre esprit toujours contrôlé par l’autre se met à imaginer le pire. Il faut dominer sa peur, ne pas paniquer. Mais ces compressions ont quelque chose d’angoissant, de terrifiant même. On discerne d’un coup encore mieux la force de ce qui nous entoure. Ça glace le sang sans mauvais jeu de mots. J’ai l’impression qu’après la quiétude de ces derniers mois notre rendez vous avec les éléments a commencé.
En tout cas nous sommes vraiment dans le détroit de Fram maintenant, et l’aventure sportive que nous promettaient les spécialistes polaires si nous suivions les côtes groënlandaises parait engager.
Hier nous comparions ces frottements aux aboiements d’un chien, à une vieille porte qui se ferme doucement ou encore à des frottements de bateau contre un quai ; Aujourd’hui, nous avons maintenant l’impression d’être dans un énorme étau. Gigantesque au pouvoir titanesque.
Depuis la débâcle et avec l’arrivée de vents d’est ce matin, la glace s’est à nouveau refermée autour de Tara. La débâcle est désormais du passé. Elle ne lâche pas l’affaire. Pas question que « la baleine » (Tara) se fasse la malle aussi vite. La glace usera de son pouvoir jusqu’au bout. Est-ce un baroud d’honneur ou le début d’une descente groenlandaise musclée.
Wait and see !

03 Déc 2007

Dimanche 30 septembre 2007

Aujourd’hui c’était dimanche. Jour de détente plus prononcé que les autres. Aussi parce que l’équipe à terre de Tara Arctic, les parisiens, sont en week-end. Il y a donc beaucoup moins de communications.
Pas de phénomène météo particulier. Un très beau coucher de soleil. Des nuances de roses et de bleus.
On a été installé avec Minh Ly son appareil photo pour prendre des vues fixes. Conversation sur ma vie familiale. Etonnant, je me suis retrouvé à raconter ma vie comme ça à une femme que je connais à peine. Ça fait à peine une semaine que je suis là.
Elle a la faculté de mettre en confiance. C’est vrai que dans ce contexte, je parle assez facilement de ma vie, mais là je me suis surpris moi-même. Minh Ly est sympa.
Après un bon poisson au four « New-Zealand made » concocté par Grant ce midi, l’après-midi a été consacré à finir le nettoyage des environs du camp : Parachutes, drums de kérosène.
Les parachutes étaient restés collés sur les palettes larguées par un avion russe. Collés par le gel, par le froid. On tire et on coupe la toile ou les cordes, avant de ranger tout ça sur le scooter.
Pour les drums, avec Sam, le chef mécano, on a la bonne technique maintenant. On en a déplacé une bonne quinzaine en moins d’une heure je crois. On s’est servi encore du scooter des neiges. Pratique.
Mais ce soir en prévision d’une grosse tempête annoncée on a remis le scooter sur le pont de Tara. Avec sa remorque. Les winchs du bateau sont électriques alors on s’en est servi comme d’un treuil. Ça laisse rêveur une telle puissance électrique. Mon petit voilier Kendalc’h avec ses 6 mètres 20 et ses petits moulins à café manuels, en serait vexé.
À la fin du dal-bat (lentilles corail indienne) de ce soir, Grant a tenu à prévenir l’équipage des risques de rupture de la glace. Hervé ou lui devront être prévenus pendant les quarts en cas de rupture des floes (plaques de banquise). Le contenu de la tente de survie sera aussi rapatrié dans le bateau : panneaux solaires, matériels scientifiques divers.
Après avoir collecté l’eau douce du bord dans un trou toute la semaine, Elie, Hervé et moi, « mon team », nous serons en charge cette semaine des poubelles, du nettoyage du bateau et des toilettes. On a peut-être eu de la chance de faire l’eau cette semaine car avec la tempête ça pourrait être moins agréable.
L’autre activité consiste en « cooking, service, and dishes ». Cuisine, service à table, et vaisselle. Ce sera pour la troisième semaine. Nous tournons par groupe de trois. Nous sommes dix à bord. Marion alterne la confection des plats avec les trois groupes, mais reste en dehors des équipes. En une semaine, depuis l’arrivée des nouveaux hivernants, la vie du bord s’est rapidement organisée.
Les jours raccourcissent aussi considérablement. Normalement, le soleil ne franchira plus l’horizon à partir de vendredi. Nous rentrerons alors progressivement dans la longue nuit. Une nouvelle aventure dans l’aventure. Je ne redoute pas particulièrement. On verra.

02 Déc 2007

Vendredi 28 septembre 2007

Je suis une vraie marmotte. J’ai encore dormi mes 10H facile. Je me suis réveillé ce matin à 9H30. A l’avenir je mettrais le réveil pour changer de rythme. Ce matin, démarrage assez calme. Petit-déj’ avec porridge et thé, as usual.
Après on s’est un peu cassé la tête avec Minh Lih, le médecin du bord, pour comprendre comment transférer des images vidéos vers l’ordinateur. Ça nous a bien pris une bonne matinée, mais on y est arrivé. Chaque fois que j’enregistre des images, je peux maintenant les assembler, les monter facilement.
Sinon, cet après-midi après avoir dégonflé et ranger une annexe dans la soute avant, nous sommes partis avec Grant en moto neige pour ramener des « drums » (bidons de kérosène) au camp de base autour du bateau.
La lumière était particulièrement belle cet après-midi. Un soleil rasant l’horizon, des couleurs pastels, des contre-jour jaune d’or avec du coup une glace dorée. Un spectacle encore différent mais tout aussi beau que les précédents.
Même si le plus beau reste pour l’instant le parhélie de mardi, avant la dernière rotation du Twin-Otter. J’ai stocké quelques images avec la caméra on les enverra à Paris.
Côté image d’ailleurs, je deviens difficile. Les beautés naturelles qui nous entourent, jouent la surenchère alors on en attend toujours plus. Avant l’arrivée de la nuit polaire, on apprécie surtout la lumière et les derniers rayons du soleil.
On s’est d’ailleurs arrêté souvent avec Grant pour prendre des photos, tout en travaillant. Le coucher de soleil avec le bateau devant et les glaces à perte de vue autour, encore une carte postale de plus inoubliable.
Des fois les glaces avec leur reflet bleu ajoutent un nouveau ton à cette palette de couleurs déjà remarquable.
Le bateau aussi dans son emballage de glace paraissait surgir d’une autre planète. Un bateau posé sur la glace en plein soleil avec derrière lui la lune. Vision presque irréelle. Image de science fiction. Du coup la lune me paraissait plus proche.
J’ai décidé aujourd’hui que je ferai mon yoga les soirs de quart. C’est le seul moment de libre finalement. Car le reste du temps les journées sont bien remplie. Entre les corvées du bord, les choses à organiser pour la vie du bateau, il reste à peine le temps de tourner quelques fois des images ou écrire un log.
J’ai du mal à remplir ce journal de bord régulièrement. Il faut donc que je trouve comment m’organiser petit à petit. Hier et avant-hier soir, je me suis amusé à découvrir puis apprendre à monter les images que j’ai tournées les jours précédents. Sympa. Il ne nous restera qu’à les compresser avec les interviews avant de les envoyer par satellite.
Lundi, une tempête devrait nous passer dessus. Des vents de 25 nœuds voire 30 sont prévus. Première tempête sur la banquise. Demain cela fera une semaine que j’ai mis le pied sur Tara. On ne peut pas dire qu’on s’embête. Les jours me paraissent chaque fois différents. C’est bien, je ne ressens pas pour l’instant de routine. Le dépaysement reste total, et les relations à bord sympa.

02 Déc 2007

Mardi 25 septembre 2007

Aujourd’hui finalement l’avion a pu décoller de Longyearbyen. Les sortants du jour, ceux qui vont nous quitter, sont Romain, le directeur logistique de l’expé et l’équipe de télévision guatémaltèque avec Steve, le cameraman, que je vais regretter.
Déjà on parlait espagnol et en plus on connectait bien. Sur le plan professionnel bien sûr, on est tous les deux cameramen, mais surtout humainement.
Comme d’habitude après le décollage, le pilote a envisagé de se poser si le besoin s’en faisait sentir sur Station Nord au Groenland. Une base de repli.
Mais à une heure de son survol de Tara, le ciel s’est totalement dégagé offrant aux sortants un beau cadeau avant leur départ.
Un parhélie descendant. Le soleil entouré de deux débuts d’arc en ciel à équidistance sur la glace. Un condensé d’optique et de sciences physiques. Un émerveillement pour les yeux. Je suis resté plus d’une demi-heure avec la caméra pour essayer de capturer cet instant qui s’est prolongé plusieurs heures. Mais j’imagine que nous ne sommes pas au bout de nos surprises de ce côté. J’étais très ému en tout cas. C’est le genre d’événement qui donne tout à fait un sens à ma présence ici. Ces phénomènes naturels me fascinent.
Finalement avec cette lumière et ce ciel totalement clair, l’avion a pu atterrir sans difficultés. Il a déchargé sa cargaison de vivres, avant d’embarquer une bonne partie du matos scientifique et les trois sortants.
Ce jour marque véritablement le début de l’hivernage. Puisque c’est à partir de là que nous nous retrouvons à dix. Les dix de cette nuit polaire. La deuxième pour Tara.
D’aventure, nous sommes passés à la Grande Aventure.
Nous devons désormais vivre au mieux en autarcie, puisque quoiqu’il arrive la venue des secours prendraient au minimum plusieurs jours. Ne compter que sur nous. La vie et la survie de chacun dépendent désormais des autres.
Une nouvelle communauté voit le jour sur la banquise.

01 Déc 2007

Dimanche 23 septembre 2007

J’entame ce carnet du pôle. Cela fait un peu plus d’une journée que je suis arrivé sur la glace et j’ai déjà l’impression que plusieurs jours se sont écoulés. En mer lorsqu’on navigue, on perd déjà la notion du temps mais là c’est encore plus accentué. Est-ce à cause de la glace ? Ou bien est-ce parce que nous sommes arrivés directement ici par avion ? Je ne saurai dire pourquoi. Mais une chose est sûre, le dépaysement est total.
Le rythme reste pour l’instant assez proche de celui de Longyearbyen. Des sorties sur la banquise, ponctuées par de très bonnes collations préparées pour l’instant par l’intendante du bord, Marion. Le temps que les nouveaux arrivants prennent leurs marques.

La température a été toute la journée d’à peu près moins 10°C, mais nous sommes bien équipés. La morsure du froid ne se fait pas encore sentir. Selon les piliers du bord, ça chute régulièrement en ce moment et avec l’arrivée de la nuit polaire, les températures pourraient chuter rapidement.

Dimanche c’est aussi le jour du Banhā : le sauna russe. Température : + 80°C. Tout l’équipage se réjouissait dès le matin de profiter de cette distraction. Elle n’a lieu que deux fois par semaine, elle est donc très attendue. Après quelques minutes passées dans une chaleur étouffante, le jeu consiste ensuite à s’asperger d’eau glacée ou à se baigner carrément dans l’océan gelé. J’y gouterais bientôt, mais progressivement.

Je ne suis pas encore dans ma cabine définitive, en attendant le départ de l’équipe de télévision du Guatemala. Pour l’instant, je partage la cabine d’Audun, le norvégien. Je m’organise un peu comme je peux. J’essaye de ne pas trop éparpiller mes affaires, car ici dans le bateau on a vite fait d’en semer à droite et à gauche. J’ai hâte de pouvoir me construire mon petit univers. De ranger mes affaires. De me faire mon petit coin.

01 Nov 2007

Tara fatiguée, Tara secouée mais Tara libérée !

7

Date : 21 janvier 2008
Position : 74°12’ N 8°59’ W
Cap et vitesse : 36° et 5 nds
Vent : 15 nds
Visibilité : Bonne
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Stable
Temp. air : – 6°
Temp. eau : – 1,7

Il est 17H00, heure de Paris nous faisons cap au nord-est. En eau libre. La bataille avec la glace, ou gagner quelquefois dix mètres était une grande victoire, est terminée. Tara a livré un combat de titan. Pendant une journée complète.
Car, c’est aujourd’hui vers midi que l’ « ice-edge » ( la frontière entre la glace et l’eau libre) a petit à petit montré les contours de son visage. Les plaques de glace étaient beaucoup moins nombreuses, le slalom continuait toujours avec un équipier en vigie à l’avant relayant des informations au barreur. Mais un canal central toujours plus large vers l’est se dessinait. Les blocs de glace étaient visiblement en fin de course, certains se transformant en sculptures étonnantes dans leur lente mais inexorable mort, goutte après goutte.
A bâbord la lune se reflétait dans l’eau, alors qu’à droite de la coque, les rayons du soleil baignait quelques nuages dans une aube marine. Rouge et dorée. Malgré le regret de quitter le pays des glaces, l’océan nous accueillait déployant ses plus beaux atours.
Il aura fallu une journée à Tara et ses équipiers pour se frayer un chemin entre les plaques et les blocs de glace, mais 40 miles plus loin cet effort à payer.
Devant l’étrave de la goélette, il y a maintenant 400 miles pour rallier Longyearben. Des vents de Nord-est, donc de face sont annoncés sur le chemin.
Nous repassons cette nuit en quart de quatre heures après une journée et demi passée en quart de six. Mais il n’est plus nécessaire de déployer la même énergie qu’avant. Une énergie qu’il faut maintenant gérer jusqu’à l’arrivée dans les Iles Spitzberg. Gérer la récupération. Comme on dit en course : ça sent l’écurie, mais il reste à donner le dernier coup de rein. A la vitesse actuelle, nous devrions arriver mercredi ou jeudi. Que l’on soit à bord depuis un an et demi, huit mois ou quatre ça va de toute façon faire drôle.

30 Oct 2007

Tara en route pour l’eau libre !

Date : 20 janvier 2008
Position : 74°24’ N 12°36’ W
Cap et vitesse : 59° et 1 nd
Vent : Nul
Visibilité : Bonne
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Stable
Temp. air : – 7°
Temp. eau : – 1,7

Avant de commencer à écrire ce genre de log, on sait que les informations qu’il contient lui donne déjà une valeur historique. Le 20 janvier est une date à retenir dans l’histoire de cette dérive arctique, un siècle après celle de Nansen. Après plus de 500 jours de dérive, volontairement prisonnier de la glace, aujourd’hui Tara a mis le cap sur l’eau libre.
Au moment du déjeuner, visiblement très ému le capitaine de Tara, Hervé Bourmaud, annonçait à l’équipage avec Grant Redvers, le chef d’expédition que le jour tant attendu était arrivé. La fin de la dérive arctique. Tara allait reprendre son destin en main, choisir de nouveau son cap. Cela faisait un an et demi que le bateau n’avait pas avancé mu par sa propre énergie. Libre à nouveau de ses faits et gestes. Affranchi de la glace.
A 13H20 précise Samuel Audrain, le chef mécanicien, a mis en route le moteur tribord. Préchauffage. A 14H20, Hervé Bourmaud le capitaine de Tara a embrayé ce même moteur. Comme si un instant on en avait douté, presque oublié que ce fût possible, Tara s’est mis tout doucement a glissé sur l’eau. Une vaguelette d’étrave est née, un sillage aussi. Tara revivait.
Il a fallu d’abord manœuvré dans une petite piscine. Comme un créneau avec une voiture. A un kilomètre de nous tout au plus, le jour nous montrait une ouverture. A coup de marche avant et de marche arrière, Tara commençait à pousser la glace autour de lui. Méthodiquement, avec application. Se délectant presque chaque seconde de cette liberté retrouvée. Patiemment attendue. Espérée. Méritée. Tout doucement encore en position de force la glace s’écartait. Baroud d’honneur.
Reliés par des talkies-walkies, un homme à la proue. Un dans le nid de pie en haut du mât arrière, et dans la cabine de navigation, le barreur. Communications brèves. « A tribord, tu as un gros bloc, on va dessus barre 0 et machine 0 ». Point mort en langage maritime. « C’est passé, tu peux relancer, la glaçon a cassé. La barre à tribord ».
Pendant une heure et demi, on aurait dit quelques minutes, Tara a progressé entre ces plaques de glace fines et épaisses, se frayant un chemin progressivement. A bord, tout le monde vivait intensément ce moment. Avec un mélange d’excitation, de joie, et de nostalgie aussi. Imaginez un peu qu’Hervé Bourmaud et Grant Redvers ont passé tous les deux à bord un an et demi sans bouger, pris dans la glace. Cela faisait donc tout ce temps que Tara n’avait pas fendu les flots à 3 nœuds. Même pour les équipiers arrivés en septembre, le spectacle de l’eau et des morceaux de glace qui bougeaient le long de la coque, ce paysage qui défilait à nouveau c’était presque quelque chose de nouveau, de grisant, d’irréel.
Il est 19H00 heure de Paris, et Tara a parcouru 7 miles. Le slalom entre les glaçons continue. Quelquefois, la goélette progresse non stop pendant quelques minutes, et d’autres fois comme maintenant, comme un lamaneur dans un port, Tara bloque et doit pousser une plaque de glace pendant plusieurs minutes pour prolonger le chemin. Il y en a pour la nuit et peut-être la matinée de demain aussi.
La dérive est finie, puisque nous avons repris notre liberté, puisque désormais ce n’est plus la glace qui tient la barre. D’heure en heure, elle est en train de rentrer dans le domaine du passé. Même si notre cap est encore tributaire des morceaux de glace que nous trouvons sur notre route.
Selon les cartes satellite envoyées cet après-midi par le directeur logistique Romain Troublé, qui est à Paris, la frontière entre les derniers blocs de glace et l’eau libre est à une vingtaine de kilomètres devant nous.
Les vingt derniers kilomètres dans cet univers blanc, cet océan gelé que Tara et ses équipiers doivent se résoudre à quitter.
Sauf changement, le port d’arrivée sera Longyearben, principale ville des Iles Spitzberg. 400 miles devant l’étrave du seul voilier polaire qui aura réussi un siècle après le norvégien Fridjtof Nansen une dérive arctique de plus de 4000 kms. Avec la trajectoire la plus nord jamais empruntée par un voilier. Arrivée probable jeudi prochain.
Avant de fêter ça comme il se doit, il faut ramener la baleine à bon port, avant de regagner sa patrie et Lorient. Elle l’a bien méritée non ?

18 Déc 1995

Dimanche 19 novembre 1995

Casablanca nous laissera à tous les souvenirs d’une fraternité, d’un accueil, et d’une chaleur humaine retrouvés. Une générosité qui redonne du sens à la vie, en échange du rêve que nous transportons dans nos coques.
Mais il y aura aussi le souvenir de ce jeu qui consiste à jauger l’autre, à le repousser poliment avec le sourire lorsque nous montons dans un taxi ou sollicitons un service. Les marocains sont très pauvres. Si le contact est bon, alors en général les deux parties finissent par s’entendre. Ici, il faut savoir être un peu dur en affaire. En tout cas nous avons réussi à embarquer des vivres pour trois semaines. On a écumé les marchés les moins chers de Casa. Nous aurons de la viande pendant quelques jours après nous pêcherons.
Nous avons quitté le port de Casa à 15h. Cela faisait neuf jours que nous y étions amarrés depuis notre arrivée de Brest. Pourtant on a l’impression d’avoir déjà passé ici des mois. Il faut dire que les journées ont été bien remplies autant que les soirées festives avec les autres bateaux engagés dans cette transat. Sans compter les soirées marocaines chez mes amis français Frédéric et sa femme Isabelle. Douce, souriante et attentionnée, on peut dire que Fred a rencontré une perle.

17 Déc 1995

Lundi 20 novembre 1995

Première nuit en mer et reprise des quarts. Des quarts de quatre heures cette fois. Plus d’efforts, pour plus de réconfort après. L’ambiance à bord est bonne avec Didier et Yann. Pierre-Antoine (« PA », le skipper) et Lionel « Yo » sont comme larrons en foire.
La mer est là pour détendre l’atmosphère. Ce début de la grande aventure se passe bien, les conditions météo étant idéales. La mer est belle et il y a toujours un peu de vent, avec du soleil. Mais il ne fait pas trop chaud.
Dans la nuit, les premiers dauphins de la traversée sont venus nous faire un petit coucou alors que Casa, la mosquée Hassan II, et le phare d’El Hank étaient lentement engloutis par l’horizon. Cette nuit j’ai beaucoup pensé à Deborah, cette belle anglaise.
Je pense que nous nous sentons attirés l’un vers l’autre. Nous avons même finalement réussi à nous parler avant d’appareiller. Quand est ce que je me lancerais avant le dernier moment ?
Grande gueule et en réalité si timide.
A l’occasion de cette première journée cool, nous en avons profité pour nous doucher à l’eau de mer, avant de déguster une super salade de Didier. Ce soir, le soleil se couche dans des nuages gris assez bas. Le temps va, peut-être, changer ?

16 Déc 1995

Mardi 21 novembre 1995

Navigation beaucoup plus rapide avec du vent vers Madère. En l’espace d’une journée nous avons fait plus que depuis notre départ de Casa. « Pahi », notre catamaran trace des surfs à quinze nœuds (environ 30 kilomètres/h). Mais avec une telle vitesse, et des records sans arrêts battus, Didier et Yann replongent petit à petit dans le mal de mer.
Comme entre Brest et Casa et nous ne sommes qu’au début de cette transat. Nuit à la cape devant Madère. Il y a des fortes rafales de vent. L’ensemble de l’équipage est crevé, PA notre skipper est malade, il a une énorme fièvre.
Mais on garde moral et confiance.