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En passant

13 Déc 1995

Samedi 25 novembre 1995

Départ de Madère à 7h00. PA est partiellement retapé. Très vite nous touchons des vents forts, force 6 à 7. Madère disparait rapidement, direction la haute mer, l’océan. Maintenant on est lancé pour la traversée. A bord la vie s’installe à nouveau. Superbe lever de soleil suivi d’un dauphin qui tient à saluer notre départ.
Mise à l’eau de « pulpito n° 1 ». Ce leurre avec un hameçon a pour mission de ramener dans la poêle du bord le maximum de bonites et de daurades. On marche bien depuis notre sortie de Madère, on essaie de rejoindre l’ensemble de la flotte qui est plus au Sud.

12 Déc 1995

Mardi 28 novembre 1995

Mise en route du moteur dans la nuit de lundi à mardi. Il n’y a pas un souffle de vent, c’est la « pétole » comme on dit. Deux ou trois risées d’air tout au plus.
Finalement avec des cumulo-nimbus, ces gros nuages tout en hauteur qui traversent l’atlantique, le vent arrive. On prend des grains sérieux sous ces nuages de sorte que lorsqu’on en sort on est obligé de re-hisser toutes les voiles jusqu’au prochain grain ou là on affale tout.
Finalement, le vent s’est établi au nord-ouest (noroît) aux alentours de 20 nœuds (40 kilomètres/h). Le Pahi fonce à douze, treize nœuds en moyenne. Une allure très confortable puisqu’on a le vent de travers, on est des fois au bon plein même. La mer est peu formée et on trace comme des avions.
La journée se déroule comme ça tranquille, mais c’est quand même dur de reprendre ce rythme plein gaz après ces heures de pétole. Mais au moins on avance.
P.S. : Qu’est ce qu’on pense aux femmes en mer, et à sa famille aussi, c’est fou, on gamberge quoi !

11 Déc 1995

Mercredi 29 novembre 1995

Les jours s’allongent petit à petit sur l’océan, ça c’est de l’hiver !
Encore une grosse journée de pétole. Bains à l’avant du Pahi. On enfile un harnais, on l’attache à une drisse et on se laisse surfer sur le dos entre les coques avant du cata. Un jacuzzi géant. Et aussi une grande toilette générale à l’eau de mer, s’il vous plaît. Une thalasso embarquée.
En fin d’après-midi on a vu un rorqual, type cachalot, d’au moins 10 mètres. Cadeau suprême. Mais après cela, nous avons du affronter notre première nuit difficile, avec la traversée d’un champ de cumulo-nimbus.
Ce qui signifie pour ceux qui sont de quart, multiplier à la hâte les manœuvres d’affalage, se prendre une bonne douche, et remettre ça une fois que le nuage est passé. Jusqu’au prochain coup. Une bonne dépression est en plus en train de nous passer dessus. Il est impossible de faire la route souhaitée. Nous sommes dans la pluie avec rafales assez fortes et des éclairs un peu partout autour de nous. Les manœuvres s’enchaînent. On descend les voiles on les arrise (on les réduits lorsque le vent monte) et on remonte le tout une fois que ça se calme un peu. Le vent n’est pas régulier, de quoi faire rentrer le métier.
Grosse, grosse nuit de fatigue quand même. L’humeur de certains équipiers n’est pas très bonne. C’est dur. On se jette sur la couchette une fois enlevé les cirés.
Mais bon, on est là tous dans la même galère, il faut faire avec maintenant. Pas de dodo possible finalement, il vaut mieux être sur le pont.
La fin d’après-midi avec tous ces épisodes est passée comme une fusée. On a l’espoir d’une nuit un peu plus calme. Il y a quelques trous dans le ciel qui laisse apparaitre des tâches bleues. Mais il n’en sera rien finalement. La nuit sera un peu moins difficile mais tout de même éprouvante.

10 Déc 1995

Jeudi 30 novembre 1995

Ce matin c’est le cadeau. Cap 270°. Nickel. Plein ouest, droit devant nous les Antilles françaises. Encore très loin sur la carte de l’atlantique, mais quand même.
Vent de sud-est établi, régulier. Ca sent l’alizé enfin. Les îles, le soleil, l’amour, la fête….ouahhhh. Séchage général des cirés, et de toutes les affaires humides. Quart au soleil toute la matinée. Aujourd’hui c’est sûr on pêche au moins un thon.
La mer est un peu agitée mais elle a des reflets d’or aujourd’hui. Il fait chaud on est en short, ambiance vacances !

09 Déc 1995

Vendredi 1 décembre 1995

Après une deuxième belle nuit et le petit coup de chien de ces dernières 48h, la vie est belle et nous traçons bien.
Arrêt piscine. Mais pas n’importe laquelle. Pas la piscine olympique. La piscine atlantique. 5350 mètres de fonds, plusieurs milliers de kilomètres de large et de long. De quoi faire quelques brasses. Il ne faut pas laisser échapper ton petit masque vers le fonds !
Surfs derrière Pahi accroché à un bout. Un massage à cinq nœuds, déjà tonique. Repas diététique : carottes râpées avec de l’ail, façon « Yo ». Didier est revenu un peu à lui aujourd’hui. Pendant toute la tempête, il est resté allongé dans sa bannette, paralysé par le mal de mer. C’est dur pour lui. Il avait patiemment construit de ses mains ce bateau pendant des années. Rêver de traverser avec les océans et les mers.
On est vraiment sous le régime des alizés du sud-est maintenant. La soufflerie est bien calée, et nous sommes aussi portés par la mer, c’est le pied.

08 Déc 1995

Dimanche 3 décembre 1995

On est pilepoil au milieu de l’atlantique, sur la plaine abyssale du Cap Vert. Exactement ou par endroit il y a jusqu’à 4200 mètres de fonds. Vertigineux. A bord, Yann et Didier sont toujours aux prises avec leur mal de mer. Nous assurons donc la tambouille et les tâches domestiques à trois : P.A, Yo et moi.
Yann se joint à nous pour les quarts. Didier ne quitte pas sa cabine. Il mange très peu et a une hygiène minimale.
Après une zone de calme, le vent forcit depuis deux jours. Pahi avance toujours cap au 270°. La route. 8 nœuds soit à peu près 15 kilomètres à l’heure, c’est très correct pour la mer. Tout va bien. On commence à parler d’une hypothèse d’arrivée dans 10 jours. Inch’ Allah !
Troisième superbe bain d’océan. Lieu dit fosse abyssale du Cap Vert. Elle est large ! Pahi me traine au dessus du bleu intense qui défile sous les coques.

07 Déc 1995

Mardi 5 décembre 1995

La drosse de barre a cassé. C’est la pièce qui relie les safrans pour diriger Pahi et la barre à roues. Elle a cassé dans la nuit lors d’un surf d’anthologie, une glissade infernale sur le dos d’une vague géante. Je crois qu’on a atteint 16 nœuds (presque 31 kilomètres/h). Surf signé Yo.
Au petit jour, alors que le bateau est à la cape en plein océan, depuis plusieurs heures, tout le monde s’est mobilisé pour la réparation. Y compris les malades. A l’intérieur de la coque Yo et Didier. A l’extérieur, dans l’annexe Pierre-Antoine (P.A) et moi. Mission délicate, essentielle mais réussie. La drosse a un nouvel œil.
Et l’avalanche de records continue. Pahi a franchi hier la barre des 16,8 nœuds. Le surf a duré presque 30 secondes. Dans les coques, la vibration est telle qu’on croit que tout va exploser sous les contraintes. Dehors sur le pont on est éclaboussé par des gerbes d’eau.
Avant la nuit, l’air dépressionnaire annoncé par le bulletin météo radiophonique est arrivé. Dans la nuit le baromètre est ensuite tombé de 1010 à 987 mb, on a donc commencé à se demander comme c’est le cas devant pareil baisse, qu’est ce qui était en train de se passer. Au point d’envisager le pire un…cyclone était en train de se former sur l’océan. Extrêmement rare en cette saison. La Transat des Alizés traverse justement à ce moment là, pour ces conditions généralement calmes.
Comme on nous l’avait appris dans les cours météo avant de partir de Brest, on a commencé à prendre la température de l’eau, de l’air, pour essayer de voir si les conditions de formation d’un ouragan étaient réunies. Quelques jours après on en a déduit que le baromètre avait du taper dans un surf, et que ça l’avait déréglé.
Mystère du large.

06 Déc 1995

Mercredi 6 décembre 1995

Depuis, nous sommes rassurés. Le dernier bulletin météo grandes ondes de RFI (Radio France internationale) est formel, il n’y a pas de cyclone en vue. Tout semble donc clair. Même si le baromètre reste stable ce sera un peu plus d’air que d’habitude mais pas l’apocalypse !
Il fait très humide ces dernières heures, tout est moite. Il nous reste 1100 miles nautiques à parcourir. Presque 2000 kilomètres, on en est au 2/3. On devrait arriver dans une semaine.

05 Déc 1995

Jeudi 7 décembre 1995

Une bonne nuit avec grasse mat’ en plus. Vues les conditions on est repassé à des quarts en solo. Donc, on a plus de temps libre pour nous. Tout le monde est revenu sur le pont, l’équipage est à nouveau totalement opérationnel. Arrêt bain en plein océan, il faut qu’on en profite ce sont les derniers avant l’arrivée. Après ces journées de chaleur moite, ça fait un bien fou, l’eau est aussi tiède. Le vent faibli mais on avance toujours à cinq nœuds. Vu notre vitesse, il faut prévoir encore plus de huit jours.

04 Déc 1995

Vendredi 8 décembre 1995

Belle journée avec pétole. Pas un poil de vent. Sous un soleil de plomb, nous avons pêché une superbe dorade coryphène. C’est la première, pour l’instant nous n’avions « accroché » qu’un petit barracuda. Les vivres commencent en plus à baisser sérieusement. Cette pêche tombe donc à pic.
Un vrai repas de gala. Filets de dorade coryphène en papillote avec ses petits légumes et sa sauce. Dessert : un clafoutis de fruits secs. Le tout arrosé d’un petit blanc marocain légèrement pétillant. Il faut dire qu’on ne se néglige pas. Tous les jours on fait du pain frais. Et avec la même pâte, de temps en temps des pizzas. On n’est pas franchement malheureux.