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En passant

08 Déc 2007

Samedi 20 octobre 2007

La semaine est passée comme une fusée depuis mon dernier journal de bord. Deux logs (articles pour le web) rédigés cette semaine sur la nuit polaire des anciens et des nouveaux. Sinon, semaine normale surtout consacrée à la préparation du bateau et à l’écriture.
Vendredi alors que j’étais en train d’aider au conditionnement des parachutes, Michael (PC parisien, responsable de la partie vidéo) m’a appelé pour me demander de réaliser un complément de reportage sur la tempête et de mettre en boîte, au cas où, la fin de la préparation du bateau.
Je suis donc ressorti aussi sec du bateau en me disant en moi-même : « Je vais filmer la fin de la préparation des parachutes ».
Et là il a fallu faire comprendre à la plupart des membres de l’équipage, sans avoir trop le temps de l’expliquer, que j’avais enfilé la casquette du journaliste et que je n’étais plus là pour les tâches auxquelles je participais avant. Pas évident.
Surtout que certains notamment Hervé et Grant considèrent très clairement que la communication passe après certaines priorités liées au bateau.
Les parachutes sont-ils des priorités ? Je sens que je vais devoir lutter régulièrement pour m’extraire de certaines activités. Car souvent ce qui est vraiment intéressant à filmer nécessite aussi mon aide. Difficile dilemme.
Cet après midi, au moment de la fuite sur la safran bâbord et la fuite de CO2, j’ai interrompu toute activité journalistique et puis j’ai aidé ensuite à la redescente des parachutes.
Je pense que ça aurait été très mal vu que j’exprime le souhait de filmer cette séquence, intéressante par ailleurs pour illustrer le travail pendant la tempête, comme me l’a demandé Michael. Bref, c’est pas toujours facile, et pour corser le tout, la caméra fait des siennes. Le froid commence à lui causer des petits soucis.
Ça m’a mis de mauvaise humeur, mais bon il n’y a pas mort d’homme et la vie continue.
Mais entre le matériel usé et pas toujours complet, la difficulté de pouvoir filmer certaines séquences je ne suis pas très optimiste côté images.
Je ne pense pas que je pourrai faire beaucoup de ce côté-là, mais on va essayer.
Bruno, le cameraman du premier équipage m’avait prévenu. Même si globalement, je pense que les équipiers qui sont là en ce moment se rendent plus disponibles pour les images et les interviews, que pendant le premier hivernage.
Je pense qu’il faut que je mette surtout le paquet sur les logs et les photos. Optimisme de rigueur et patience arctique au programme. Sinon les logs écrits et les photos noir et blanc, je trouve que ça marche vraiment. Ça c’est très encourageant.
Patience et calme, demain il fera un peu jour ! Et puis y’a banhā !

07 Déc 2007

Dimanche 14 octobre 2007

Toujours pas facile de tenir ce journal. Belle soirée hier avec l’anniversaire de Sam, le chef mécanicien. Un vrai gueuleton à la clé : nems maison, glace maison, bœuf au oignons maison Marion made, un vrai régal. Et des gens pensent qu’on souffre !
Hier soir, après cette fête, la vaisselle a été l’occasion d’une franche partie de rires et délires entre Elie, Hervé et moi. Un peu grisé par le bourgogne et le cognac, le nettoyage de toutes ces assiettes, plats et couverts est devenu un énorme sketch bruyant où dans la conversation, les protagonistes mélangeaient français, italien et anglais.
La vaisselle a quand même duré une bonne heure. Toute cette bonne humeur était notre moyen à nous de nous accrocher pour mener à bien cette tâche.
Aujourd’hui, réveil général assez tardif pour tout le monde. La grass’mat’ dominicale a cours aussi en arctique. Légère gueule de bois générale.
Un peu plus corsée pour Hervé, Elie et moi : conférer la vaisselle de la veille.
Petit-déj’ rapidement suivi d’une collation. Le plat norvégien typique : saucisse purée. Très apprécié bien sûr par Audun, notre norvégien du bord !
Cet après-midi, l’événement, l’attraction, c’était la descente du tracteur russe du pont de Tara. Pendant plusieurs jours il avait fallu construire avec des drums vides et de la neige un pont pour permettre à la machine de retrouver la glace. Une construction pilotée par Audun.
Des poutres et des planches métalliques censées supporter au sommet de cette montagne de glace les trois tonnes de l’engin.
Bon signe, le moteur avait accepté de démarrer le matin. Pendant toute la journée d’hier, Sam avait chauffé et dégelé le corps du tracteur avec un heater, un ventilateur soufflant de l’air chaud.
Une fois le plat national norvégien englouti par les dix convives, tout le monde s’est retrouvé sur la glace. Les uns avec des appareils photos, les autres, (ma pomme !) avec une caméra au poing pour immortaliser la manœuvre.
Sam s’est mis aux commandes de ce tracteur rustique qu’il n’avait jamais conduit. Après avoir trouvé la marche avant et la marche arrière, entre deux rires, le tracteur était retenu vers l’avant et vers l’arrière par des bouts au cas où il prendrait brutalement une direction pas souhaitée, Sam l’a progressivement descendu du pont de Tara. Avec une grande précaution. Au cas où les choses se passeraient mal, il avait enfilé un baudrier attaché à une drisse, un siège éjectable artisanal.
Le tracteur a tout doucement glissé hors du bateau sans encombre. Sam a levé les bras en signe de victoire. C’était drôle. Après le léger stress de la descente, un moment de détente s’improvisait. À tour de rôle la plupart des équipiers ont pris les commandes. Certains ne sachant plus l’arrêter, d’autres pétrifiés de peur, d’autres le manipulant correctement. Une belle récréation.
Ce soir, le rituel banhā a commencé à partir de 17H. Un bon moyen de vider la fatigue et de se détendre avant une nouvelle semaine qui sera certainement marquée par une progression de la nuit.
Nous entamons la deuxième quinzaine d’octobre. Selon Grant, on pourrait voir déjà des aurores boréales. Les étoiles ont en tout cas déjà fait leur apparition dans la voute céleste. Peut-être reverra-t-on un ours ces prochains jours ?
Le premier vu cette semaine a fait une apparition furtive, avant d’être pris en chasse par Zagrey. Ce qui est sûr, c’est que les chiens sentent des traces en ce moment. Ils ont fait une belle escapade hier, peut-être sur les traces du fugitif.
Apparemment, il pourrait y avoir aussi des animaux marins qui sont sous la glace car Zagrey aboie souvent au dessus des leads (les cassures dans la banquise). Là où peuvent sortir pour respirer des phoques, par exemple.

06 Déc 2007

384ème jour de dérive

Date : 26 septembre 2007
Position: 85°18’N 003°17’E
Route fonds et vitesse: 140° et 0,2 kts
Vent: N-NW, 4 kts
Visibilité: Faible, neige, couvert
Jour: 13 heures / jour.
Glace de mer: Stable
Température de l’air: -11,5˚C
Température de l’eau: -1.7˚C

Hier, alors que l’ensemble de l’équipage était en train d’admirer une magnifique parhélie, l’effet optique est fascinant, la dernière rotation a eu lieu. Par un beau soleil, avec une légère brume au sol, le Twin Otter a atterri. Ultime approvisionnement avant l’hiver et la nuit polaire, l’avion ressemblait à une épicerie volante. Bananes, oignons, pommes de terre, œufs, lait, chocolat, bières…etc.…Un peu comme ces camionnettes qui sillonnent les villages de campagne et signalent leur arrivée par des coups de klaxons.
Quelques minutes plus tôt, devant Tara, hivernants et “visiteurs” s’étaient spontanément abandonnés à une brève mais sincère séance d’embrassades et d’accolades. Même après seulement quatre petits jours passés ensemble sur Tara, la banquise aidant, pour certains des liens s’étaient déjà tissés. Dans un tourbillon de neige le scooter des neiges partait vers la piste, des mains s’agitant des deux côtés.
D’épicerie volante, le Twin se transformait en taxis colis scientifique pour le retour. De bananes et œufs “l’inventaire à la Prévert” devenait: Deux sismomètres, un ballon et un treuil, un vieux sondeur à glace, des échantillons biologiques pour un laboratoire de Marseille, un radiomètre d’été. Dans la carlingue, à côté de toute cette masse métallique, les trois visiteurs. Le directeur logistique et l’équipe de télévision guatémaltèque. Et Il aura fallu, à l’avion rouge et blanc la totalité de la piste glacée, 400 mètres, pour arracher toute cette masse du sol. Lentement, l’aéronef s’est élevé.
Pour les dix hivernants de Tara, le départ de cet avion représentait en soi un spectacle. Et le début d’une période d’isolement. Nouvelle pour les uns, une de plus pour les autres. Car il ne devrait plus y avoir de mouvements aériens autour du bateau pendant quelques mois maintenant. Peut-être jusqu’à la sortie des glaces.

06 Déc 2007

Mardi 9 octobre 2007

Premier tour de corvée en tant que cuistot. Ce midi, j’ai préparé un crumble, une grande première ! Également un gratin de coquillettes au jambon, champignons et fromage. Le tout agrémenté de noix muscade rappée, bien sûr.
J’ai l’impression que ça a été plutôt apprécié, personne n’a fait la grimace !
En cuisinant, je repensais à Pahi, le catamaran sur lequel j’ai traversé pour la première fois l’Atlantique. On faisait du pain et des pizzas à bord en surfant sous les alizés.
Là, il s’agit de faire la cuisine pour dix personnes. Les quantités sont donc plus importantes et les ambitions aussi.
Tara est un quatre étoiles à côté de Pahi. Dès le départ finalement, Pahi n’était pas destiné en terme de budget, à aller beaucoup plus loin que les Caraïbes.
Sur Tara, Marion conçoit les plats et suit les différents cuistots de corvée. Chaque jour, des menus sont établis à l’avance, elle fournit les recettes. Bref, tout est quand même assez encadré pour que ça fonctionne bien. Et quand on a bossé deux ou trois heures dans le froid on a presque toujours bon appétit.
Aujourd’hui même si l’absence de soleil se fait déjà ressentir, on a eu droit à une belle journée. Un ciel assez clair et là encore des couleurs pastel uniques.
On continue le nettoyage du ice-camp, le dispositif scientifique déployé autour de Tara sur la banquise, en prévision de la sortie des glaces. Le gros morceau après le rangement de la soute avant et le déplacement des drums, sera de les hisser sur le pont du bateau.
Une fois les glaces brisées et le bateau libre de ses mouvements, il faudra qu’il n’y ait plus rien sur la glace. Le problème est que le nombre de drums excède les possibilités de stockage de Tara. Une solution est évoquée avec la venue d’un brise-glace norvégien, à moins que le kérosène loge dans les cuves du bord, mais pour l’instant on en est là.
La soirée barbecue de samedi dernier a été un succès. Une belle fête où tout le monde était en phase. Feu, musique, bon vin et musique manouche. Un cocktail déjà éprouvé.
À bord l’ambiance est toujours bonne. La petite communauté poursuit sa vie tranquille pour l’instant. La glace reste calme. Mais des leads, des grandes cassures, se sont formées un peu partout autour du bateau dans la glace, à une distance de 300 mètres. Les dernières prévisions de sortie parlent d’une fin de dérive au 15 novembre. Qu’en sera-t-il ?
Le bateau et l’équipage s’y préparent en tout cas.
Sinon, je peux dire que ni mon travail, ni ma maison ne me manque. J’ai ce que j’ai voulu depuis longtemps et j’en suis heureux.
Grâce aux mails, j’ai en plus des tas de nouvelles des personnes importantes pour moi. Beaucoup plus que dans la vie normale, donc tout va bien. Je crois que je vais repartir souvent !

05 Déc 2007

La pelle et la bête

Date : 26 novembre 2007
Position : 81°08’ N 2°41’ W
Cap et vitesse : 168° et 0,1 nds
Vent : 4,7 nds N
Visibilité : Moyenne
Durée du jour : Nuit polaire mais lune
Glace de mer : Stable
Temp air : – 30°
Temp eau : – 1,7°

S’il est bien deux amis indissociables en « Terre Arctique », c’est bien la bête (la tempête) et la pelle. Après une semaine d’activité réduite à cause d’un coup de vent, c’est avec bonheur que les Taranautes recommencent à vivre un peu plus dehors en cette fin novembre. Le programme post-tempête était écrit d’avance.
D’abord, c’est la vocation première de l’expédition, reprise de la plupart des activités scientifiques hormis l’EM 31 (mesure de l’épaisseur de la glace). Arrêt définitif. Ensuite, activité « digging » en anglais. Pelletage.
Car le vent déplace des quantités de neige impressionnantes. En une semaine, la totalité de la coque de Tara mis à part le tableau arrière a été ensevelie par une gigantesque vague blanche compacte. Le nez de la goélette dépassait à peine de la neige.
Ce matin dès 9H00, les premiers « diggers », « pelleteurs », se sont mis à la tâche pour libérer Tara de cet épais vêtement blanc. Et finalement une journée ne sera pas suffisante et de nouveaux coups de pelle seront nécessaires demain et après demain pour dégager les flancs de la coque grise.
La belle et la bête n’ont pas finis leur chassé croisé, même si pour l‘instant les prévisions météo annoncent un temps calme. En tout cas, cet exercice physique fait du bien à tout le monde. On s’aère. Le vent, la tempête c’est bien au début, mais comme après une bonne semaine de mistral dans le midi au bout d’un moment on tourne un peu en rond dans le bateau.
Mais heureusement après la tempête vient le calme…Le calme avant le retour des pelles et de la bête.

05 Déc 2007

Jeudi 4 octobre 2007

Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir acquis une nouvelle conviction sur une chose. Nous arrivons quelquefois à avoir un pouvoir sur les évènements. Ici en arctique, là ou souffle le Borée, le vent du nord, si tu ne te prends pas en main, tu peux rapidement sombrer dans une mollesse qui conduit très vite à la déprime voire pire. Tu dois être actif, te trouver des occupations qui te font bouger et te bouger.
Aller sur la banquise ou faire un travail dans le froid quel qu’il soit, t ‘apportes à chaque fois une satisfaction. Après tu n’as plus de problèmes pour gérer le mental dans l’instant présent, puisque que tu es occupé. Occupé mais pas stressé. Tu fais ton job du moment en prenant ton temps. Un peu à la manière d’Audun qui avant chaque geste réfléchit. Comment faire mieux, y-a-t-il une autre solution ? Sans devenir autiste pour autant, se payer le luxe de vivre les choses à un rythme normal, de prendre le temps de réfléchir, je trouve que c’est tout simplement extraordinaire. Et sain.
Ici, sur la banquise on a vite fait de se laisser aller. Il faut s’imposer un rythme, à fortiori quand on n’a pas le moral. A terre, lorsque je travaille au bureau tout va tellement vite, trop vite. Ce n’est pas un problème de rythme, mais au bout d’un moment je trouve que tu n’arrives plus à avoir du recul sur les choses, sur toi. Tes rapports avec les autres. Tu n’as plus le temps de décanter.
L’intérêt ici, c’est que chaque jour tout apporte chaque fois son lot de nouveautés. Je me sens des affinités fortes avec les personnes d’ici.
C’est tellement agréable quand la bonne volonté est là naturellement et un esprit de franche camaraderie. Tellement plus facile dans ce contexte, de faire des efforts pour s’entendre avec les gens, de leur montrer qu’on les respecte. D’abord en faisant ce qu’on attend de nous dans la communauté, sans imposer ses idées. A l’écoute, tout en donnant son point de vue.
Bref, c’est très intéressant de se retrouver comme ça en communauté, devoir compter sur toi et aussi sur les autres. Car là où nous sommes, dans ce grand désert blanc, un esprit de corps est pour moi impératif, indispensable. Même instinctif.
A part ça, on s’achemine tranquillement vers la nuit polaire, qui doit être complète à la fin de la semaine. Pour l’instant, on finit de ranger la soute avant avec Audun, et puis j’écrirai un log sur nos deux chiens, Tiksi et Zagrey, demain avec Hervé B.
Aujourd’hui le banhā était particulièrement chaud. Sasha, notre scientifique russe de
St-Petersburg, a fait bouillir la marmite jusqu’à 100°C. Je suis sorti de là, avant de m’administrer trois sauts d’eau glacée sur la tête, avec l’impression d’un léger vertige.
Il faut aller doucement avec tout ça à mon avis.
Le plus important en arctique est d’être patient, affirme la phrase d’un russe manuscrite sur un petit drapeau dans le PC COM’ de Tara. Je crois que c’est absolument vrai et je complèterai par de l’autodiscipline pour s’astreindre à un minimum d’activité.
Maintenant que le camp autour du bateau est presque totalement récupéré et rangé, avec en plus l’arrivée de la nuit, il y aura forcément moins d’activité à l’extérieur. Il faudra donc rester vigilant sur les dégâts de la paresse. La glace est un antidote. A moi de savoir m’en servir.
Sinon, pas de tensions pour l’instant entre nous. Samedi ou dimanche prochain, suivant la météo, il est question d’un barbecue arrosé de quelques bières pour fêter le dernier rayon de soleil. C’est une idée de Grant, le chef de base. Du bonheur et de l’originalité : un barbecue sur la glace. Deux éléments que tout oppose et que l’homme réunit le temps d’une soirée.
Le banhā m’a cuit, je crois que je vais avoir un sommeil profond.

04 Déc 2007

Éternelle idylle ?

Date : 6 décembre 2007
Position : 80°22’ N 2°43’ W
Cap et vitesse : 229° et 0,2 nds
Vent : 8,3 nds E
Visibilité : Nulle
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Instable
Temp. air : – 9,8°
Temp. eau : – 1,7°

Non, soyons sérieux. L’histoire entre Tara et la banquise ne continuera pas éternellement. Certes, ce n’est plus une aventure, au bout d’un an et demi c’est devenu une relation à part entière. Mais c’est inexorable, que la banquise le veuille ou non, nous assistons à la chronique d’une rupture annoncée. Les deux amants profitent encore de chaque seconde, tout comme leurs pages (et oui c’est nous, les Taranautes !).
Tara, fière goélette polaire battant pavillon français regarde fixement vers le sud. Comme un capitaine veut mener à bon port sa cargaison, accomplir sa mission, il ne quitte pas des yeux la destination finale.
Mais là ou la banquise est maline, c’est que Tara peut bien regarder obsessionnellement vers le sud, c’est elle qui lui dicte sa direction. Elle qui tient la barre. Elle l’a pris dans ses flancs depuis plus d’un an, entouré d’un amour dur mais dans l’ensemble sans failles, alors elle estime avoir quelques prérogatives.
La principale d’entre elles, c’est qu’elle ne va pas laisser partir son amant comme ça, sur un malentendu, un coup de tête.
Alors que l’eau libre serait maintenant à 60 km de la coque en aluminium et bien ce matin elle lui faire du sud-ouest. Pour faire durer le plaisir. Elle n’est pas prête, elle s’est habituée à sa présence. Même métallique, sa coque fait désormais parti de son corps blanc. Pourtant, ce n’est qu’une dernière valse polaire. Pour repousser un peu plus cette date. Mais dans une, deux, trois ou quatre semaines au mieux, elle devra faire le deuil. Des vents de nord-ouest sont annoncés. Elle devra rendre forcément Tara à la civilisation.
Seul son bel amant résistera ensuite à la chaleur des eaux de l’Atlantique nord. Elle, dans un cri désespéré, une complainte finale se fondra définitivement avec son élément initial, l’eau. « Tu es née eau, tu redeviendras eau », ce pourrait être son épitaphe.
Car, celle qui choisit chaque jour le cap de ce bel hidalgo d’aluminium, au nom qui claque comme un talisman ou celui d’un dieu maori, celle qui se joue de cette proue fière tournée vers le sud, c’est elle qui finalement ne survivra pas à la fonte de cette union. Elle sait « qu’elle ne porte la culotte » encore que quelques temps. Ce n’est pas qu’elle est autoritaire, elle est trop puissante pour ce genre de travers, mais choisir le destin de la « glacionef », c’est s’assurer encore quelques heures d’intimité avec elle.
En réalité, la passion qui consume la banquise, ce rêve d’une éternelle idylle, vient tous simplement du fait qu’elle se sait mortelle. Alors que pendant des mois, elle a choisi avec malice, sans alternative, la destinée de son Apollon. Demain elle perdra tout. L’amour, la vie.
Pure passion. Force de l’instant présent. C’est peut-être comme ça que la glace a trouvé le chemin de l’éternité. Par la force de ses sentiments.

04 Déc 2007

Mardi 2 octobre 2007

Les jours raccourcissent de plus en plus. On sent que la grande nuit approche. Je finis mon quart, il est 7H30 du matin, je viens de préparer café et thé pour ceux qui vont se lever. Elie est tombée du lit pour apprendre encore plus le français, elle est vraiment très motivée.
Cette partie de quart n’est pas désagréable non plus. Il faut dire que Hervé (Bourmaud) le capitaine et co-équipier de quart, a fini le sien à 4h00 au lieu de 3H00. Une heure de moins pour moi, ça change pas mal les choses.
Il a eu des soucis avec la charge de la batterie, et du coup il a été obligé de remettre en marche le groupe. Déjà que Sam et Hervé ont des soucis pour raccorder la pompe de kérosène, ceci aurait pour conséquence d’amener une surconsommation de gas-oil. La gestion des stocks, si aucune solution n’est trouvée, peut donc s’avérer délicate si la dérive se prolongeait. Pour la première fois, je crois avoir entendu la glace bougée autour de ma couchette, ça grinçait. On verra dans quelques jours quand la glace craquera vraiment si c’était ça.
Hier, alors que la tempête annoncée passait au dessus de nous, l’un des grands jeux du jour a consisté en des paris. Des paris sur la sortie des glaces, la fin de la dérive. Audun s’est livré avec Hervé (le Goff) baptisé « Astérix », (c’est parce qu’il est roux avec une moustache type gauloise fournie, elle rappelle le petit homme à l’œil pétillant et à la célèbre potion magique), à de savants calculs.
Le résultat était qu’il reste actuellement à Tara et à son équipage 107 jours pour boucler son aventure dans le désert blanc. Bref, les paris sont ouverts. S’agira-t-il de mi-janvier comme le prédisent Audun et Asterix, ou au contraire de la mi-novembre selon les autres courants, plus pessimistes, « wait and see ».
Pour l’instant tout la monde a surtout une envie, c’est en tout cas ce qui se dit dans le carré, prolonger l’aventure au maximum.
Peu de temps après mon début de quart, j’ai réussi à faire mon premier yoga. Ça s’est pas mal passé. J’ai réussi à trouver une place à peu près confortable dans le carré près de la cuisine. J’ai mis mes petits baffles au sol avec mon tapis, et mis à part un « asana », une posture, j’ai réussi à faire ce que je fais en France. Malgré le bruit du générateur, malgré le peu de place, j’ai réussi à me concentrer. Sans réveiller, c’est l’essentiel, les neuf autres personnes endormies dans le ventre du bateau.
Je renouvellerai à chaque quart. Finalement, ce quart est un peu plus fatiguant parce qu’il coupe vraiment la nuit, mais je pense qu’on peut y faire des choses qu’on ne peut pas faire au précédent. C’est comme toute chose ou tout être, les bons et les mauvais côtés vont ensemble.
Normalement aujourd’hui, on devrait assister à la fin de la dépression. Une journée de plus plutôt décontracte, à moins que de nouvelles données ou évènements n’interviennent. Le vent a quand même considérablement baissé.
En discutant au petit-déj’ avec Astérix, une idée s’est précisée. Comme j’y avais pensé depuis quelques mois, j’ai décidé que je ferais un reportage noir et blanc sur la nuit polaire. Avec le reflex argentique du bord. Ça devrait être intéressant de jouer avec la nuit, les lumières artificielles, les visages, les ambiances, les contrastes….etc.
Ça me plaît beaucoup cette idée. La vidéo ce sera pour les couleurs. La photo pour le noir et blanc. Ca se précise !

03 Déc 2007

Le pot d’alu contre le pot de glace

Date : 15 décembre 2007
Position : 79°16’ N 3°11’ W
Cap et vitesse : 350° et 0,2 nds
Vent : SW 12 nds
Visibilité : Bonne
Durée du jour : Nuit polaire
Glace de mer : Instable
Temp. air : – 0,44°
Temp. eau : – 1,7°

Depuis la débâcle de cette semaine, et après une nuit de calme total, une lutte sans merci semble commencer entre Tara et la glace. Aujourd’hui et particulièrement en ce moment alors que j’écris ces lignes, les cloisons de ma cabine résonne de pressions énormes continues. A un nouvel assaut succède un autre, toute la cabine entière vibre et Tara bouge en même temps. C’est vraiment très impressionnant et je pèse mes mots. Toute la structure du bateau est compressée et tremble de toute part. Tiens bon Tara ! D’un coup plus rien. Et puis de nouveau quelques craquements. La glace, «classe », prévient avant son nouvel assaut. Puis se déchaîne alors une puissance colossale. On dirait qu’elle veut tout broyer. Montrer sa puissance coûte que coûte quel qu’en soit le prix. Sans conscience. Le seul patron ici. Seigneur sur ses terres. Nous sommes clairement des intrus. Des visiteurs. Mais quelle chance d’assister à tout ça.
Hervé Bourmaud, le capitaine de Tara fait des rondes, vérifie s’il n’y a pas de voies d’eau. Dans ces moments là on a l’impression que tout peut arriver. Une partie de votre esprit toujours contrôlé par l’autre se met à imaginer le pire. Il faut dominer sa peur, ne pas paniquer. Mais ces compressions ont quelque chose d’angoissant, de terrifiant même. On discerne d’un coup encore mieux la force de ce qui nous entoure. Ça glace le sang sans mauvais jeu de mots. J’ai l’impression qu’après la quiétude de ces derniers mois notre rendez vous avec les éléments a commencé.
En tout cas nous sommes vraiment dans le détroit de Fram maintenant, et l’aventure sportive que nous promettaient les spécialistes polaires si nous suivions les côtes groënlandaises parait engager.
Hier nous comparions ces frottements aux aboiements d’un chien, à une vieille porte qui se ferme doucement ou encore à des frottements de bateau contre un quai ; Aujourd’hui, nous avons maintenant l’impression d’être dans un énorme étau. Gigantesque au pouvoir titanesque.
Depuis la débâcle et avec l’arrivée de vents d’est ce matin, la glace s’est à nouveau refermée autour de Tara. La débâcle est désormais du passé. Elle ne lâche pas l’affaire. Pas question que « la baleine » (Tara) se fasse la malle aussi vite. La glace usera de son pouvoir jusqu’au bout. Est-ce un baroud d’honneur ou le début d’une descente groenlandaise musclée.
Wait and see !

03 Déc 2007

Dimanche 30 septembre 2007

Aujourd’hui c’était dimanche. Jour de détente plus prononcé que les autres. Aussi parce que l’équipe à terre de Tara Arctic, les parisiens, sont en week-end. Il y a donc beaucoup moins de communications.
Pas de phénomène météo particulier. Un très beau coucher de soleil. Des nuances de roses et de bleus.
On a été installé avec Minh Ly son appareil photo pour prendre des vues fixes. Conversation sur ma vie familiale. Etonnant, je me suis retrouvé à raconter ma vie comme ça à une femme que je connais à peine. Ça fait à peine une semaine que je suis là.
Elle a la faculté de mettre en confiance. C’est vrai que dans ce contexte, je parle assez facilement de ma vie, mais là je me suis surpris moi-même. Minh Ly est sympa.
Après un bon poisson au four « New-Zealand made » concocté par Grant ce midi, l’après-midi a été consacré à finir le nettoyage des environs du camp : Parachutes, drums de kérosène.
Les parachutes étaient restés collés sur les palettes larguées par un avion russe. Collés par le gel, par le froid. On tire et on coupe la toile ou les cordes, avant de ranger tout ça sur le scooter.
Pour les drums, avec Sam, le chef mécano, on a la bonne technique maintenant. On en a déplacé une bonne quinzaine en moins d’une heure je crois. On s’est servi encore du scooter des neiges. Pratique.
Mais ce soir en prévision d’une grosse tempête annoncée on a remis le scooter sur le pont de Tara. Avec sa remorque. Les winchs du bateau sont électriques alors on s’en est servi comme d’un treuil. Ça laisse rêveur une telle puissance électrique. Mon petit voilier Kendalc’h avec ses 6 mètres 20 et ses petits moulins à café manuels, en serait vexé.
À la fin du dal-bat (lentilles corail indienne) de ce soir, Grant a tenu à prévenir l’équipage des risques de rupture de la glace. Hervé ou lui devront être prévenus pendant les quarts en cas de rupture des floes (plaques de banquise). Le contenu de la tente de survie sera aussi rapatrié dans le bateau : panneaux solaires, matériels scientifiques divers.
Après avoir collecté l’eau douce du bord dans un trou toute la semaine, Elie, Hervé et moi, « mon team », nous serons en charge cette semaine des poubelles, du nettoyage du bateau et des toilettes. On a peut-être eu de la chance de faire l’eau cette semaine car avec la tempête ça pourrait être moins agréable.
L’autre activité consiste en « cooking, service, and dishes ». Cuisine, service à table, et vaisselle. Ce sera pour la troisième semaine. Nous tournons par groupe de trois. Nous sommes dix à bord. Marion alterne la confection des plats avec les trois groupes, mais reste en dehors des équipes. En une semaine, depuis l’arrivée des nouveaux hivernants, la vie du bord s’est rapidement organisée.
Les jours raccourcissent aussi considérablement. Normalement, le soleil ne franchira plus l’horizon à partir de vendredi. Nous rentrerons alors progressivement dans la longue nuit. Une nouvelle aventure dans l’aventure. Je ne redoute pas particulièrement. On verra.